On a dit que ne se lassent pas les secrets de mourir la nuit

I

On a dit que ne se lassent pas les secrets de mourir la nuit. Avec des spectres qui vacillent dans leurs yeux d’êtres désespérés à cause de leurs fardeaux sans décharge, ils sont malades ou revenants et emportent en ces heures électriques l’ardente convalescence des soirs d’automne, l’esprit arraché. Leur dépassement est un plaisir dans la peine. Leur calme se mêle aux voiles de la brume. Pleine à la tombée des minutes nocturnes, la rue les absorbe loin des réverbères.

On a dit, de l’abondance en toute chose, sa déroute qui somnole, dans le métro et, quand trop c’est trop, ces êtres glisseraient jusqu’au lit, vide, pour qu’ensuite, solennellement, la pénurie d’amour leur passât la main sur le visage, livide. Continuer la lecture de « On a dit que ne se lassent pas les secrets de mourir la nuit »

à quoi ça ressemble l’âme ?

cet après-midi pourpre hé !
viens à moi !
la foule nous bouscule et nous sommes allés boire
à quoi ça ressemble l’âme ? montre-moi sa carapace !
je lui montre
le flot des voitures
le jour un peu flou passé à la pierre ponce
et nos regards qui fouillent de-ci
de-là
les objets de leur raison d’être ?
feu rouge furieux changements de vitesse
je n’en sais rien
à quoi ça ressemble ?
plus léger que des poumons… peut-être
le doigt dans le nez
nos idées cahotent dans l’insolite
des bribes de petit bonheur qui refait surface Continuer la lecture de « à quoi ça ressemble l’âme ? »

Impressions amazones

Entre quatre murs, des notes indigo entrent au travers des vitres, celles d’un torrent de montagne ou d’un ciel d’herbes géantes qui coulent sous le vent du large comme naissant de l’éclat stellaire. Devant lui, le matin roulé dans une couverture, n’est pas encore commencé. A flanc du vide, il ressentait ces dizaines d’heures et ces milliers de kilomètres. La Vierge ronfle de plus en plus. Tourner pour passer l’abîme. Allumer la lampe à pétrole. Boire une bière ou bien un peu de feu cristallin. La Vierge maintenant est verte avec des petites fleurs. Elle part sans rien lui dire. Peut-être rêve-t-il ? Il sort. Le soleil écrase la forêt. Quand, soudainement, il vacille. Sa main se cramponne aux nuages et il tombe sur le visage. Sa tête s’arrête aux pieds. Et pêle-mêle son crâne chute sur un rocher, celui d’un pantin cassé sur la terre gluante. Une torche rouge jaillit de son occiput. Allait-il mourir ? « Tranquille !, se dit-il, l’hôpital ramassera tout dans la boîte. Ce sont les spécialistes pour ramasser la vaisselle. » Camion ou ambulance qui hurle sous les gyrophares. Le temps est tombé à côté de lui mais celui-ci n’a pas réussi à s’évanouir. Le temps n’en finit pas. Pourtant il le sent fondre comme une pomme dans un four. Continuer la lecture de « Impressions amazones »

Ubu et Salomé

Théâtre
pièce en un acte
d’après Salomé par Oscar Wilde

avec par ordre d’apparition :

plusieurs enveloppes d’ELLE
plusieurs groupes d’EUX
LUI
plusieurs enveloppes d’UBU
UN ÉTRANGER.
UN SECOND ÉTRANGER.
UN TROISIÈME ÉTRANGER.
UN QUATRIÈME ÉTRANGER.
UN CINQUIÈME ÉTRANGER.
UNE VOIX (d’outre-tombe).


ELLE. Est belle ce soir !
ELLE. Est morte !
ELLE. Est étrange !
ELLE. Va très lentement ! Continuer la lecture de « Ubu et Salomé »

Second blasphème

Et son blanc visage se situait tout près du vermeil liquide qui sortait par cette bouche choc dont chaque mot étourdissant violait les béances, les gouffres de l’éternité, les lits chevets des tombes, les jours d’éveil en travers du corps : un rêve d’affres au bout de son scalpel, un rêve peint sur la toile, un rêve de paille et de mouches latines.

Blanc espace. « Tu m’aimes ? » « Tue-moi ! » « Tue-moi ! » La plainte dans la chambre comme un navire qui restait immobile, sommeil suspendu dans le vide. Sa bouche toujours plus lointaine riait la mort et la vie, la vie comme la mort. « Mue-toi ! » « Mue-toi, mue-toi ! Que ta bouche amère se transforme en oreille. » Continuer la lecture de « Second blasphème »

Zones

Il était neuf heures. Le rat lançait le moteur de la toupie ce qui commençait à agacer le chat. Ronronnant à vide, le moteur emplissait le garage d’un gaz d’échappement nommé silence. Je vis alors le lapin faire un bond et, avec une force considérable, il atteignit la connaissance. Mon corps ployais sous le poids sidéral. Je bougeais, ensanglanté, espérant la fin des temps, environné d’encens et de la douceur susurrée par neuf harpes. « Regarde, me disait-il, tu saignes ! » Je parvins enfin à articuler le silence comme l’écho clinique d’une blessure au crâne. Évanoui, j’étais encore moi-même. Inanimé, ma tête obscènement localisait le lapin, son ombre pâle chargée d’euphorie. Le présent porte l’avenir fondamental et la lumière qui s’incarnait en l’homme portait la femme. Il me fallut des yeux de cent dix kilos et un déluge de légumes pour ridiculiser toute idée et toute sagesse. Continuer la lecture de « Zones »

La sève erre et cède

I

À la première sueur, la jeune fille s’attardait au seuil de la cécité. Enfermée, elle avait plus peur du présent que de ses souvenirs. « Dans une boîte », murmura-t-elle. Lumière dure comme la pierre. Jusqu’à la mer qui contenait le ciel. D’énormes oiseaux noirs entrouvraient l’écume des nuages. L’envoûtement diurne commençait à l’inquiéter. Voulait-elle vivre avec une telle liste de menaces ? Respirer l’atome. Redouter les gaz et permettre à l’homme le luxe de la peine. HUMANIMUM : expéditions, déportations, conquêtes et colonisations. Glaces brûlées. Déserts de joies. Le xxe siècle sombrant dans le pourrissement et les bains de sang. Grâce au capitalisme qui franchit le mur, étoilé cinquante fois, des massacres et des crises. Terreur bleue, blanche et rouge. « Ô mes fesses ! Relâchez tout et respirez ! », pensa-t-elle. Continuer la lecture de « La sève erre et cède »

Un blasphème inachevé

Les jeunes filles murmuraient et redressaient leurs sourires et retiraient comme une plaie de métal en fusion ces baisers du front de leurs amants au cœur encore rouge. Adieu bien-aimés, adieu ! Adieu, anges de nos seins, aises de nos caprices.

Mais, songeaient les belles jeunes filles, que les yeux des hommes brûlaient, ainsi qu’un foyer qui rendrait des étincelles, comme ces tiges de fer rouge qui traversèrent nos corps de part en part. Continuer la lecture de « Un blasphème inachevé »

L’artiste ôte la souche de l’œil (fragments)

“Il y a deux espèces d’exemples :
l’une consiste à citer des faits antérieurs,
une autre à inventer soi-même.”
Aristote, Rhétorique

[…]

LIVRE SECOND

1 – Il est conseillé de louer pour accuser et, inversement il est déconseillé de blâmer pour se défendre. Les sources du faux qui n’en a que l’apparence portant la sentence même de son argumentation, principalement se convaincre soi-même que dans le calme se puise la haine et que dans la colère s’extraie l’amour et, inversement, l’amour s’épuise avec calme tandis que la haine s’estompe dans la colère. Pour toutes ces raisons, il est recommandé de se confier avec prudence à ceux qui vous écoutent et de ne prendre parti qu’en ayant à l’esprit la méthode susdite. Continuer la lecture de « L’artiste ôte la souche de l’œil (fragments) »

Les inattendus

avant-propos

1. Parle au sénat, parle à l’assemblée, parle en philosophe mais, ce faisant, parle au peuple.

2. Il est nettement plus difficile d’exprimer au peuple clairement ses idées que de lui produire une richesse oratoire et philosophique.

3. L’éloquence vient de l’audace à parler des lieux communs tels que la vie, la mort et l’amour.

4. Ce qui s’oppose à l’opinion commune souvent est bien près de la vérité.

5. A la lueur des nuits courtes et des veilles, ce travail a le mérite simplement de faire paraître la lumière [qui n’est pas seulement celle du jour]. Continuer la lecture de « Les inattendus »