La sève erre et cède

I

À la première sueur, la jeune fille s’attardait au seuil de la cécité. Enfermée, elle avait plus peur du présent que de ses souvenirs. « Dans une boîte », murmura-t-elle. Lumière dure comme la pierre. Jusqu’à la mer qui contenait le ciel. D’énormes oiseaux noirs entrouvraient l’écume des nuages. L’envoûtement diurne commençait à l’inquiéter. Voulait-elle vivre avec une telle liste de menaces ? Respirer l’atome. Redouter les gaz et permettre à l’homme le luxe de la peine. HUMANIMUM : expéditions, déportations, conquêtes et colonisations. Glaces brûlées. Déserts de joies. Le xxe siècle sombrant dans le pourrissement et les bains de sang. Grâce au capitalisme qui franchit le mur, étoilé cinquante fois, des massacres et des crises. Terreur bleue, blanche et rouge. « Ô mes fesses ! Relâchez tout et respirez ! », pensa-t-elle. Charniers où déferlaient sans cesse des tronçons de chair et les dentiers. Océan de naphte pour une peste à la carte. Et, à l’avant-garde, les manipulations psychiques et climatiques. AMERICA ! I AM ERIKA ! AME IRAK ! Garantir la sécurité de la guerre. Contre l’ennui ? La santé par le travail ! Pourquoi répétait-elle ce discours ? Avait-elle raison ? Conclure. Les jeunes filles intéressaient les hommes. Curiosité entrée dans les mœurs ou tabou qui, avec la morale s’effondra ? Au gré des générations de mères. Autrefois, femme sacrée besoin de l’homme, sexuel standing vital. Aujourd’hui, garderies de robots, crèches d’inséminés. Toujours plus. Toujours plus. Toujours plus. Et voilà ! En avant ! Au travail !
La télévision évangélise ces « jolies choses ». Des speakerines protestantes hurlent : – «  Le progrès, y a que ça de vrai ! Mon vibromasseur est super sexy ! » Sortir de la boîte. S’engouffrer dans le tube du métro. Soulever sa jupe, montrer ses cuisses et sa petite culotte. Et hop ! Bondir dans la rame qui bourdonne, laissant derrière elle le strass de la station et des publicités érotiques. Ô mon pauvre cœur, quelle torture !

II

En la pierre aveugle, depuis longtemps s’était compactée la cendre. Une épidémie de suicides fit même disparaître les amants, dans les tranchées. Trop d’astéroïdes s’y étaient laissés choir. De Gaulle, Clémenceau, Churchill, Gandhi devinrent des objets de musée et, cela, de mauvais goût. Aussi y exposait-on le soleil, pour égayer. « Ça serait plus gentil en capote… », pensa la jeune fille. A l’ombre du défilé des gratte-ciel, les mâles paresseux, en essaims, faisaient métier de la mort ; ils tuaient le temps, glissant avec insistance leurs mains sous les maillots des femmes, jusqu’aux seins nus. La lycéenne trouvait la pratique effarante. « Qu’est-ce qu’on s’emmerde ! », soupira-t-elle, assise dans un restaurant. Elle roula son regard vers le téléviseur. Manipulation psychotronique. Automation des inconsciences. Sorbet d’alpha et d’omega. Bon appétit ! « Nous avions du plaisir, gazouillait une serveuse, avec le sexe des hommes. C’était le dictateur de nos destinées. Voulez-vous l’ancien modèle, celui avec des moustaches, ou un gigot purée d’asperges ? » Un rire traversait le boulevard s’échappant des fenêtres, par centaines. A cet instant, la jeune fille assistait à l’accouchement de l’histoire et de ses passions humaines. De la souris blanche Hiroshima. Mélange d’étoiles dans une éprouvette. La lutte pour la victoire généra le malheur. Bombardement de sérum en Polynésie. Qu’importe ! Restaient les trains corail ! Les sobriquets battaient la pierre d’un coup sous le menton. Quelques nones chantaient le cantique « Tiens ! Tiens ! Tiens ! Mon cœur chavire en Sambre-et-Meuse ». Une de ces religieuses camouflait son orifice avec un doigt. Une autre avait la fente emplie d’un membre en plastique bleu. « Acquittez-vous !, disaient-elles, sortez vos membres pour l’uppercut ! »

III

Des étincelles, naquirent les fleurs épouvantables à l’œil unique et terne. Régnaient l’ablation de l’amour et le plaisir de la mort qui creva les esprits. Comment sortir de la pierre et pourquoi était-elle fermée à clef ? Qu’est-ce que cet immonde charme, sinon, hors du salut, celui de ces instants pétrifiés par la camisole ? Les réflexions s’entrechoquaient et provoquaient les larmes de la jeune fille. Soudainement, elle pensa au coït comme d’un exercice d’hypnotisme, vieux désir d’une phalange géante. Alors, le rire, cette immatérielle drogue, excita tout son être à ce point qu’elle dut se contenir. La gaieté privée effrayait la foule et il n’était pas rare que cette dernière avertisse la police. Les télépathes du Pentagone pouvaient aussi mettre sa vie en danger, sondant son subconscient pendant le sommeil. Sur le trottoir roulant, elle marmonnait sans répit : « Autosuggestion mentale… Manipulation du comportement… Réévaluation des barrières morales et éthiques… Armes biologiques incapacitantes et psycho techniques avancées… » Elle connaissait par cœur les cours de l’Us Army War College. N’avait-elle pas vu, la semaine passée, une femme psalmodier dans la rue: « Cessez de glorifier la fosse à ordures, bêtes infâmes ! Les seigneurs qui jouent de leur harpe ne sont pas anges mais bourreaux ! N’ayez pas de joie en eux ! N’ayez pas de plaisir en eux ! Cessez de glorifier le travail… » ? Puis, sans raison apparente, elle se convulsa, foudroyée. Jusqu’au caniveau dégoulinait un liquide sombre dont la source provenait de son crâne brisé. Les sentiments n’avaient plus leur place, l’amour rejeté au rang de folie obsessionnelle. Un invisible rayon fusait de la ionosphère, tel un foutre de rêves bizarres et féroces. Son cœur palpitait comme une tourterelle en cage. Ses seins naissants gonflaient un maillot trop serré et la faisait ressembler à une antique momie sortie de sa catalepsie. Tout en se laissant glisser le long de la chaussée, elle apercevait les écrans des Seigneurs de la HAARP dans lesquels la même speakerine exploitait les catastrophes et les crimes tout en vantant les bienfaits de la prostitution des collégiennes de quatorze ans. Cirque perpétuel de comètes folles. Somnambules exaltés par les plaies séminales. Populations téléguidées au gré des fantaisies gouvernementales. « Renoncer à la guerre ? Parlez-vous sérieusement ? C’est ridicule ! Que faire des excédents ? Des familles nombreuses ? Vive le tonnerre de sang et de fanges ! Les mines qui furent semées sont un velours sur lequel s’opère l’équilibre planétaire. La faim étant la formule géométrique qui allie le plaisir à la mort. » Tels étaient les slogans officiels que la jeune fille, effrayée, pouvait lire dans les magazines.

IV

Chaque nuit le même rêve et la nausée de se sentir captive. Chaque nuit à tourner tout autour d’une tour, cherchant la clef. Puis, gravissant un escalier, elle parvenait au sommet et buttait au pied d’une autre tour. Tâtonnant en silence contre l’infini, son oreille n’entendait que le vent qui l’appelait par son nom : « Mirage ! Mirage ! » Alors, c’était comme un chuchotement froid qui la faisait frissonner, car elle s’apercevait de sa nudité. Pénétrer et monter par un autre escalier. En haut, encore une tour. Une bise muette la frappait à nouveau d’une amère écume. Cramponnée à l’altitude. Des pierres de soleil bordaient une chaussée dallées de visages pétrifiés. De gigantesques crinières chevalines tentaient de l’étreindre. Il lui fallait chasser violemment ces fouets, sans répit. Soudain, un liquide rouge semblable au jus de raisin, mais plus épicé, ruisselait sur ses cuisses. Trois cent soixante-cinq marches menaient à la plate-forme de la seconde tour. À ce moment-là surgissait le ciel nocturne et, dans ce face à face, les étoiles semblaient correspondre à chacun de ses atomes par de longs cils lumineux. Tendant de nouveau l’oreille, elle élevait à cet instant son âme au moyen de ces fils surnaturels. Pleine d’amour, comme attentive à la plainte qui, selon toute apparence, provenait du cosmos, la jeune fille s’apaisait et prenait refuge dans cette vision. Une harpe murmurait et son cœur se réjouissait. Les fracas déchaînés par les fleuves exhalaient des rubis. Les voix déchaînées par les vents délivraient les diamants. Une invisible main la soutint puis la couvrit d’une étoffe légère.

À ce moment là, Ève vit sa bouche s’ouvrir. Oui, sa bouche s’est ouverte ! Sa voix énorme faisait déferler une phrase unique, en dialecte cosmique. Dans ce langage inhumain, le moindre effarement prenait des proportions gigantesques. Ainsi les murs et les parois naquirent d’un cauchemar. Métal de pierre. Écran de cristal. Buée de granit. Gouttelettes de granit. Rosée de granit. Elle sema l’épouvante parmi toutes les étoiles (ces êtres cyclopéens) lorsque une fulguration répétée lui fendit les lèvres : « Je déclare ma bouche ouverte, je déclare ma bouche ouverte ! »

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