Second blasphème

Et son blanc visage se situait tout près du vermeil liquide qui sortait par cette bouche choc dont chaque mot étourdissant violait les béances, les gouffres de l’éternité, les lits chevets des tombes, les jours d’éveil en travers du corps : un rêve d’affres au bout de son scalpel, un rêve peint sur la toile, un rêve de paille et de mouches latines.

Blanc espace. « Tu m’aimes ? » « Tue-moi ! » « Tue-moi ! » La plainte dans la chambre comme un navire qui restait immobile, sommeil suspendu dans le vide. Sa bouche toujours plus lointaine riait la mort et la vie, la vie comme la mort. « Mue-toi ! » « Mue-toi, mue-toi ! Que ta bouche amère se transforme en oreille. » Continuer la lecture de « Second blasphème »

Zones

Il était neuf heures. Le rat lançait le moteur de la toupie ce qui commençait à agacer le chat. Ronronnant à vide, le moteur emplissait le garage d’un gaz d’échappement nommé silence. Je vis alors le lapin faire un bond et, avec une force considérable, il atteignit la connaissance. Mon corps ployais sous le poids sidéral. Je bougeais, ensanglanté, espérant la fin des temps, environné d’encens et de la douceur susurrée par neuf harpes. « Regarde, me disait-il, tu saignes ! » Je parvins enfin à articuler le silence comme l’écho clinique d’une blessure au crâne. Évanoui, j’étais encore moi-même. Inanimé, ma tête obscènement localisait le lapin, son ombre pâle chargée d’euphorie. Le présent porte l’avenir fondamental et la lumière qui s’incarnait en l’homme portait la femme. Il me fallut des yeux de cent dix kilos et un déluge de légumes pour ridiculiser toute idée et toute sagesse. Continuer la lecture de « Zones »

La sève erre et cède

I

À la première sueur, la jeune fille s’attardait au seuil de la cécité. Enfermée, elle avait plus peur du présent que de ses souvenirs. « Dans une boîte », murmura-t-elle. Lumière dure comme la pierre. Jusqu’à la mer qui contenait le ciel. D’énormes oiseaux noirs entrouvraient l’écume des nuages. L’envoûtement diurne commençait à l’inquiéter. Voulait-elle vivre avec une telle liste de menaces ? Respirer l’atome. Redouter les gaz et permettre à l’homme le luxe de la peine. HUMANIMUM : expéditions, déportations, conquêtes et colonisations. Glaces brûlées. Déserts de joies. Le xxe siècle sombrant dans le pourrissement et les bains de sang. Grâce au capitalisme qui franchit le mur, étoilé cinquante fois, des massacres et des crises. Terreur bleue, blanche et rouge. « Ô mes fesses ! Relâchez tout et respirez ! », pensa-t-elle. Continuer la lecture de « La sève erre et cède »

Un blasphème inachevé

Les jeunes filles murmuraient et redressaient leurs sourires et retiraient comme une plaie de métal en fusion ces baisers du front de leurs amants au cœur encore rouge. Adieu bien-aimés, adieu ! Adieu, anges de nos seins, aises de nos caprices.

Mais, songeaient les belles jeunes filles, que les yeux des hommes brûlaient, ainsi qu’un foyer qui rendrait des étincelles, comme ces tiges de fer rouge qui traversèrent nos corps de part en part. Continuer la lecture de « Un blasphème inachevé »

L’artiste ôte la souche de l’œil (fragments)

“Il y a deux espèces d’exemples :
l’une consiste à citer des faits antérieurs,
une autre à inventer soi-même.”
Aristote, Rhétorique

[…]

LIVRE SECOND

1 – Il est conseillé de louer pour accuser et, inversement il est déconseillé de blâmer pour se défendre. Les sources du faux qui n’en a que l’apparence portant la sentence même de son argumentation, principalement se convaincre soi-même que dans le calme se puise la haine et que dans la colère s’extraie l’amour et, inversement, l’amour s’épuise avec calme tandis que la haine s’estompe dans la colère. Pour toutes ces raisons, il est recommandé de se confier avec prudence à ceux qui vous écoutent et de ne prendre parti qu’en ayant à l’esprit la méthode susdite. Continuer la lecture de « L’artiste ôte la souche de l’œil (fragments) »

Les inattendus

avant-propos

1. Parle au sénat, parle à l’assemblée, parle en philosophe mais, ce faisant, parle au peuple.

2. Il est nettement plus difficile d’exprimer au peuple clairement ses idées que de lui produire une richesse oratoire et philosophique.

3. L’éloquence vient de l’audace à parler des lieux communs tels que la vie, la mort et l’amour.

4. Ce qui s’oppose à l’opinion commune souvent est bien près de la vérité.

5. A la lueur des nuits courtes et des veilles, ce travail a le mérite simplement de faire paraître la lumière [qui n’est pas seulement celle du jour]. Continuer la lecture de « Les inattendus »

Failles

La douceur d’une heure matinale. Usée de mots mécaniques au-delà des ongles. Sans bruit de colère. La nécessité d’autrefois n’est plus, mais les phrases au rythme des appareils parlent aujourd’hui de ce monde, moitié vivant et moitié machine. Déclics de métal. Saccades de pauses en éclats des femmes crapauds renouvelables. Vous voici comme les autres, lourdes à l’obéissance. Mais vous ne saviez pas l’irrésistible. Vous n’aviez pas compris que l’instruction est faite pour vous apprendre à obéir. Toujours la machine est soumise à un maître. Toujours la machine est le maître de quelqu’un. Homme-machine. Femme-machine. Comment se réparer ? Continuer la lecture de « Failles »

Ces gens

Me voici, cependant au secours, sans bien ni connaissances, à montrer les fautes et les conditions médiocres et les contraintes exercées par ces gens qui nous emploient et je leur dis : – « Donnez protection, ne profitez jamais de ceux qui sont à vos pieds et qui implorent justice ! Avec amertume et miné dans mes ressources, je voyage en France, attendant au reste, la vérité qui ne sera pas difficile à vérifier pas plus que je serai sans preuves pour démontrer la calomnie de votre honneur. » Il n’en est rien dit ici mais j’incline à croire que les verrous se poussent lorsque la vérité se fait lettre. Au comble, il ne restera que les phrases du monde et ces gens qui sacrifient le respect de notre dignité à l’excellence de l’argent. Les grands saigneurs n’en guérirent jamais tout à fait, eux, du culte bourgeois, de l’univers des employés. Peut-être leur revenait-il à l’esprit ce qu’un tel d’entre eux ne se plaignait point trop de la mode en rampant comme un courtisan ? L’habitude peut-être des leçons de maman ? Enfin, revenons ! Le résultat poursuivi de me loger le soir étant de trouver les conditions matérielles nécessaires pour adresser ma colère à ces gens auprès desquels les pauvres empruntent puis partent en courant, leur annonçant : – « Je vous le rendrai ! » Continuer la lecture de « Ces gens »

Damné

Un horizon monumental élève sa grisaille à l’aube des ruines et des décombres. Bouche amère qui ne se console de rien. D’un œil qui roule vite sur ce paysage hostile, voir le plâtre floconneux qui tourbillonne autour du taxi. L’anesthésie du sommeil laisse le goût de la nausée. Baisser les paupières, ou presque. Paris New York Paris. Les nerfs à cran. Univers d’aveugles défigurés sur la chaussée. En sens inverse. Hier matin. La lumière émiettée des plantes. Jour avant jour. Désordre chronique contrôlé par la rupture. Que les voyages ne règlent pas. Tout ravivé par l’automne aux conversations guerrières. Consulter l’oracle d’un avocat. Paris Bastille rue de la Roquette. Pas de quartier. Déclencher les hostilités. Bus camion bus camion. Quartier de la Défense. Défroisser la bouche malcommode, ouvrir la parenthèse d’un bâillement. Seine Iena Austerlitz Bir-Hakeim. Continuer la lecture de « Damné »

Dada au Congo

L’interminable patience, hélas ! Impossible de lire cinq heures sablonneuses et glissant des kilomètres si longs. Jusqu’alors parfaitement blanche, l’eau coule sur les crocodiles portés par des enfants. Quel sentiment de se voir seul avec soi, lorsque l’un et l’autre ne se disent plus rien, par crainte des sévices à l’instant de la mort couvert de cicatrices ! Trop préoccupé à chaque seconde, celui-là ne doit-il pas attendre l’heure du soleil, tandis qu’au-dessus du vertige celui-ci danse des rondes dans l’eau et traverse par trois fois une femme en caoutchouc ? Qui parle a coutume d’infliger aux autres sa suffisance. Le plus mûr devant ce genre d’exercice à de grandes chances de balayer le sol à Jérusalem. Les fesses sous un chiffon ou 1880 feuilles sèches (on ne sait trop pourquoi) parent la route d’un fleuve mauve et de fleurs de 50 mètres environ si souvent mangées de l’intérieur et vidées de leur pulpe anisée. Il est plus de midi quand nous nous infiltrons dans un très beau passage de lianes, longeant un taillis de ricin, maudissant d’avoir des chefs, et allant en arrière, nous quittons nos mères qui s’opposent à ce départ, mais désormais nous décidons seuls. Nous avions le cœur si serré par les Récits sur le Travail que nous ne pouvions même plus sourire. Continuer la lecture de « Dada au Congo »