Ces gens

Me voici, cependant au secours, sans bien ni connaissances, à montrer les fautes et les conditions médiocres et les contraintes exercées par ces gens qui nous emploient et je leur dis : – « Donnez protection, ne profitez jamais de ceux qui sont à vos pieds et qui implorent justice ! Avec amertume et miné dans mes ressources, je voyage en France, attendant au reste, la vérité qui ne sera pas difficile à vérifier pas plus que je serai sans preuves pour démontrer la calomnie de votre honneur. » Il n’en est rien dit ici mais j’incline à croire que les verrous se poussent lorsque la vérité se fait lettre. Au comble, il ne restera que les phrases du monde et ces gens qui sacrifient le respect de notre dignité à l’excellence de l’argent. Les grands saigneurs n’en guérirent jamais tout à fait, eux, du culte bourgeois, de l’univers des employés. Peut-être leur revenait-il à l’esprit ce qu’un tel d’entre eux ne se plaignait point trop de la mode en rampant comme un courtisan ? L’habitude peut-être des leçons de maman ? Enfin, revenons ! Le résultat poursuivi de me loger le soir étant de trouver les conditions matérielles nécessaires pour adresser ma colère à ces gens auprès desquels les pauvres empruntent puis partent en courant, leur annonçant : – « Je vous le rendrai ! » Il est vrai et j’en témoigne : l’infamie des honnêtes gens qui prennent la liberté comme roi et se disent innocents va jusqu’à recourir aux droits imprescriptibles oubliant leurs devoirs, jusqu’à cesser de recourir à l’équité. Ne vont-ils pas financer les factions sanglantes contre moi qui n’ait de maison ? Pas un mot d’amour ici ne se mêle à tous leurs plaisirs. Ils trouvent « la chose » merveilleusement grotesque et dans la hâte s’en amusent. J’ai dit « dans la hâte » car nul ne triomphe s’il n’entend rien à l’amour. Faire sa cour le leur laisse, qui sait, croire, mais d’en faire le métier leur en ôte le loisir.

Je m’en allais de France pour me sauver de cette mendicité, je veux dire de ces gens qui nous traitent de mendiants en nous payant un salaire. Comme si le travail était le besoin de mon temps, à gagner une vie de misère. Poète dans le pourrissoir du monde, je préfère écrire des choses vaines. Un homme vaut-il le titre de sa fonction ou bien a-t-il la valeur d’homme même ? Et cette considération d’amour-propre ne le relègue-t-il pas dans un cul-de-sac vaseux ? Là où règnent les barbares règnent ces gens qui se voudraient maîtres des songes mais ne le sont en fait que du mensonge. Ils n’ont d’égards que pour leurs seuls plaisirs. Cependant d’extrêmes embarras les occupent : l’incertitude de la mort, le bonheur instable et se faire cirer les souliers. Pourtant si ma colère monte, je suis sans rancune contre une société qui agonise sous le poids des privilèges éhontés : que l’on soit valet ou maréchal, on est toujours domestique du ridicule.

La bonté naturelle de l’homme est devenue la source de tout le mal, son avilissement s’est épanouie avec les Droits de l’Homme des « Jésuites de la Vérité », leurs maximes et leurs pratiques d’éducation établies au sein même des collèges. Bientôt j’écrirai sur le sable les règles abstraites de l’humain, faisant tomber en disgrâce le droit politique aux dépens de la force des choses primitives, ouvrant les chemins à la libre volonté des hommes. Bien des glapissements percent le silence. L’absence de parole a surgi comme une habitude avec quoi se recrée la solitude, chacun confondu par sa pensée. Je n’ai pas besoin de penser, moi !, pour révéler sur terre les millions de victimes. Les révérences me paraissent propres à engendrer les lamentations mécaniques, en sorte que toute fabrique et toute industrie est une offense publique, une gabelle et une taille. Qu’y a-t-il en bien à servir et à respecter cette activité cancéreuse ? Quelle assurance acquérons-nous et pour quelle gloire, à reconnaître le progrès pour maître ? Je ne décrirai pas la beauté ni me flatterai de franchise devant ces gens aux âmes torves, amis des philosophes dont l’usage n’est exigé qu’au rang des préservatifs. Non ! Non ! Non ! Il m’enchante de dépeindre des arguments qui choquent le tableau et d’accuser la misère d’avoir Rousseau pour source corrompue, assise en fauteuil Voltaire. Le tout est bien trop dévot pour être parfait. Ajouterai-je au comble de cet ouvrage que je ne puis m’empêcher de conduire vous et moi vers l’intolérance et la sédition ? Ne sommes-nous pas désabusés face à l’abondance des cœurs qui souffrent, sans médecin pour soigner le mal sur terre ? Pardonnez-moi ! Le vrai secret est tout autre : ce que je veux seul sera.
Brûler nos cervelles au travail, par quelle force explosive ? Celle de nos contradictions ? Celle de nos faiblesses ? Invincible comme la foudre, j’écrirai autant de phrases que je voudrai, la parole ciselée entre ses lettres. N’avais-je pas raison jadis de déclamer avec sévérité, d’écarter l’amabilité ? Enfant, n’avais-je pas deviné combien étaient ignorés les écoliers, sans patience, sans amour ni caresses ? La patience a été dévorée, derrière la porte, sortie de la casserole. Jusqu’aux mères qui se servent des enfants en guise de soutien à leur misère ! Je n’ai plus rien et ne pourrait renoncer qu’à moi-même. Mais voilà, la tête me tourne : quarante-cinq ans extravagants au pays des chimères ont nourri mon délire.
Ne fus-je pas tenté par les fièvres du Triangle d’Or, m’imaginant prince héritier hors de son pays ? Considéré du genre un peu fou, personne ne me publia. Au vrai, je me sentis sans doute étranger à l’esprit de mes contemporains. Empire, réalité, patrie, histoire, famille : roman, roman tout cela ! Les gens donnent à sentir dans leur naïveté la matière d’un grand livre : comment naquit la nation, ses errements dans l’idéal ; fièrement, ils l’enseignent en habits d’apparence. Ils objectent inlassablement en brandissant les âmes supérieures au fond d’un cœur bien pesé. Pour simplifier, tout leur est thème et système. L’âge d’or des rêveries eut cours dans les parcs et les sofas. Mais la vie intérieure nous commande à changer les causes de nos échecs. Ce n’est pas à abattre les arbres de la forêt que nos écrits ont le mérite d’être reçus. Ôtons-nous la souche de l’œil !

Tout ce que nous espérons nous manque. Jadis je racontais ma vie à celle que j’aimais. Léa, ce fut le nom qu’elle se donna, aimait vivre et savait aimer. Éperdus de désir, nous étions désespérés de nous adorer. Nous espérions en guérir. Nous n’avions pas un cœur à offrir mais le feu pour présent. Alors les cieux s’ouvrirent traversés d’éclairs : la passion inévitablement génère le désespoir. L’étendue de toute une vie jamais ne peut cacher ce fatal secret : les amants jouent souvent aux échecs. Jalousie. Coups de cœur. Rires complices, portes fermées. Travail. Salon désert. Visites pour se perdre et se retrouver. Caresses en d’équivoques miroirs. Plaisir qui paraît animé dans les yeux. Sombre franchise d’une intimité entre ours bien apprivoisés. Couchés dans les soupirs ou mêlés à la danse de la foule, d’y acheter et de s’y battre, de s’y jeter et d’y vider sa bourse. Léa comme une petite fille avait une joie innocente que ces gens méprisaient. Dans cette foire, l’amour ne peut pas les voir et ne prend garde à eux. Mais au plus profond de l’être, les parades travaillent au mauvais temps, dévorant l’énergie. Les occupations du monde marquent au fer rouge la présence même de celui ou celle que nous aimions, le ciel de notre vie. Certains demandent même un pistolet ou un fusil. Aimer : ce crime mérite-t-il l’ermitage ? L’horreur. La séparation et l’absence. Les questions… La tyrannie de l’amour emporte-t-elle la raison en des cahiers inexprimables ? Toutefois, elle se fait fort dans les simulacres pour nous posséder. Celui qui va jusqu’à s’en s’offenser n’est-il pas vrai ? Et s’il noircit le tableau n’est-ce point pour éprouver cette véritable conspiration où la passion jongle avec la vanité ? Bien souvent, le faux soumet la vie à la vérité, celle-là en fond de toutes les rigueurs, en artisane des petites dettes, des petits cadeaux qui souillent.
Ainsi, Léa, ce fut le nom qu’elle se donna, aimait vivre et savait aimer. Épuisés de nous aimer en songes, nous avons renoncer à l’amour, chapelain des obstacles et des épreuves. Nous n’avons plus que l’univers à vaincre, confidents, à leur extinction, des étoiles, tandis que le temps se situe au déclin de son âge, le temps qui nous voue de notre jeunesse à notre tombeau, avec en mémoire l’autre et l’illusion de nous voir sans cesse unis et, à la fois, évanouis, dépassés nous-mêmes par notre sacrifice.
L’amour ? L’amour est don. Pas un vil don ! Non ! A l’inverse : le don de ce que nous tenons pour le plus précieux. Mais les gens se raillent de ce qu’ils ignorent, eux, les adorateurs du petit commerce et de l’industrie. Leurs gesticulations interdisent le bonheur et honnissent les idéaux qui profanent leur portefeuille. De ces gens que je ne peux souffrir, envers eux je serai impitoyable. De leurs agissements, je n’en cacherai pas la honte. Pleins de souvenirs m’emplissent l’esprit. Leurs égarements. Eux qui « corrigent le désordre » avec la loi… de police ou par la sainteté du mariage. « L’honneur, disent ces gens, la sûreté, la dignité, le bonheur, la vertu, l’ordre, la paix sont pour nous les puissances inconnues de notre volonté cachée. » Ils ont la société pour objet et la veulent pour femme et l’exige pour eux seuls.
Ma bouche voit tout de mon cœur. Et ma main découd ma bouche. Et mon cœur rythme ma main. N’explose-t-il pas d’une révolution contre l’ordre et la paix, contre cette étrange cérémonie où les vermisseaux promettent fidélité au Ciel et à la Terre ? « Jusqu’à la mort ! », disent-ils. Mais l’amour méprise ces idées de perfection privée. L’amour est abandon, non enthousiasme ! Bientôt ils auront perdu l’honneur au jugement sur leurs expéditions à chercher dans un autre hémisphère les épices de leur convoitise. Ils se mépriseront mutuellement. La solitude peut-être les aigrira… Cette histoire me ravit. Elle occupe en moi une place d’estime. Les visages blancs de poulet aux fesses maximes, de ces honnêtes gens du haut de leur suffisance qui s’écrient « Cher ami ! » pour vaincre ma sentence, pour m’empêcher de combattre, ces visages pâles m’inclinent à en faire sur moi-même l’application. « La paix ! », s’exclament-ils. Quoi ! Ce vice arrogant ? Ce fléau qui permet à mille projets malhonnêtes, futiles et minables d’éclore ? D’être propice à l’oppression des cœurs ? « Renoncez de parler à vous-même, me susurrent-ils encore, renoncez aux ulcères. Vous croyez lire ? Pensez donc ! Vous envenimez tout, vous n’êtes que condamnations et plaintes. Pour votre santé, prenez donc votre retraite ! Et puis, n’allez pas aux champignons… …les jours de chasse ! »

Il revint à Concarneau, le fils, le grand. Sur son chemin, je l’aurais comblé de mes amitiés. Je ne peux même pas les voir. Lui et ses trois frères. Je ne peux même pas taire ma mémoire sur ce triste voyage, quand il était refusé des soupirs à mes plaintes, longues, inquiètes. Je porte ma tête coupable de réclamer la justice qui m’est due. Ô ! Quelle minute ! Celle de repasser vingt années de sa vie ! Ainsi, régulier au désespoir, il ne m’est rien de plus triste qu’une vie sans ombre, ni intérêt, rien, rien à justifier ! Certains me trouvent supérieurement ridicule de me dire respectueusement outragé tant est aiguisée leur foi en leur estime, qu’ils jugent bon de miner celui qui aime l’équité. Réparez cela ? Il n’y a rien à réparer lorsque c’est perdu…
Derniers pas. La plaidoirie à reprendre. Aucune folie n’y paraît. Mais la folie pourrait naître du public, à part ! Les affaires finiront par ailleurs par détruire l’homme tout entier. Non ! La vison claire, avec le temps, mais encore des cicatrices… J’implore moins pour moi-même, pour ma réputation, que pour la communauté, ce nous d’avec les autres hommes. Et, même de l’au-delà je suis instruit. La Parole ne doute point quand elle a vérifié “ les choses ”. Je donne mon adresse : chez Jacques, RN 113 à Moissac. Au bout du bout. Le bout d’où ?
Le cœur de Jacques est un Palais-Royal. Je veux dire que tout ce qui sort de sa bouche est générosité de l’âme et caractère de bonté. Il est juste, rigoureux. Entendant mes soucis, Jacques parvint à tracer en mes plaintes le germe du vrai, sacrifié à l’ordre public. Dans sa vie, il éconduit la solitude avec des sourires ; il est semblable à personne. De ses années souterraines, il en est sorti plus jeune, et plus heureux. Ayant trouvé l’oubli d’un trait, il en garde la ride. Rieur de lui-même, il a vaincu l’orgueil.
Alors, à rire de mes malheurs, cela tourne en sorte de jouissance. Par excès de conscience qui sait, va-t-on au désastre moral ? Déjà que la vie à peine surnage ! Depuis des mois, je dois encore de l’argent. J’en suis à ce point de gêne que je repartirai en voyage pour ne pas retenir mes amis à leur parler de mes dettes. Je regarde l’argent comme une possible colique. Et puis Sophie n’est-elle pas dans les mêmes difficultés que moi-même ? En tout cas, à mon retour d’Espagne, revenu plus fort, Jacques m’a logé chez lui. Nous nous recevons à dîner dans nos “ petits logements ”. Plus fort, car dans le dénuement d’une grotte, pour moi, sont venus le bonheur et l’onction. Et puis, au mois de mars, l’Espagne m’offrira un asile dans une maison.

La sagesse dont certains sont damnés, la gloire des malades, se liquéfiera dans la danse immortelle des chevaux de justice. Et n’est pas si misérable celui qui ne pense être. Tant d’obstacles et tant de pertes ? Tant de peines pour tout ce que j’entreprends ? Je vous dirai même plus ! Ces peines furent mes sauvegardes contre la société. La loi du commerce me dégoûte. J’engage les marchands à reprendre leur veste. Il y a quinze ans que je travaillais déjà au canevas des ministères, qualité liée ou Exigé Nécessaire pour juger les juges et leurs substituts et pour répondre d’un ton détaché presque ironique contre le génie des jeux du siècle, contre le charme du temps et de l’argent. Par comble, personne ne reconnût mes mérites lorsque je déclarais que derrière l’argent se cache une vaste conspiration : chacun étant si sûr de son bonheur, aidé de ses ambitions mais modeste, gentil et poli à table. Ennemie des autres et de toute faiblesse, la bassesse à double menton raisonne en philosophe. Elle promet au Panthéon l’ignominie, l’ignorance et la sottise. Pauvres musiciens, les chansons de leur invention n’y résistèrent pas.
Craignons plutôt de prendre à l’autre, de vouloir l’autre. L’audace du désir jamais ne caresse comme elle le prétend et à jamais les petits soins s’abandonneraient dans le banal. Passons plutôt à l’instant dans la gravité de nos confessions et pour un seul moment, doucement, hors des refuges qui nous emprisonnent, hors des petits ménages qui soumettent aux habitudes, vidons l’ordinaire de la vie servile, à paraître tout entier dans nos paroles sur le chemin des circonstances car la vie sans apparence n’a pas de prix. Ne faudra-t-il pas un jour s’en détacher, véritablement ?

Force est de nous réconcilier, de nous allier avec la nature éternelle. De quitter notre prison des ans et, plus profondément, l’Être. Il ne serait que justice que nous redevenions des anges pour nous dérober à cela même que nous n’osons vivre, nous enivrer de cette frénésie qui préexista à l’apparence. Sortez de cette aristocratie de fosse septique, de ces puérilités de famille, de ces divertissements bourgeois ! En garde ! La dignité autrefois de lettres et aujourd’hui d’épée, celle dont je me pare, vous menace par la puissance de la littérature et de l’art. En garde, les pieux et les timorés ! Témoin, j’irai armé contre la foi de ces gens qui ne voient de la réalité que les Travaux d’Hercule. Téméraire, je manifesterai d’un esprit égal pour concevoir cet ouvrage, juste avec assez d’inspiration pour en finir des inepties sur l’Être ! Trop d’études ressemblent à la messe ! Pour quel bénéfice ? Les mathématiques achèvent l’humain et portent la démence à réduire l’âme à une tête d’épingle philosophique. Voulez-vous que je vous conte cette espèce d’hommes d’analyse et de méthode ? Ils pensent donc ils imaginent. Ils appellent l’ordinaire parce qu’ils se livrent aux objets, ces derniers étant leurs meilleurs amis. Ils se plaisent alors à se distraire comme des animaux et creusent des terriers de chimère. Fictifs, ils s’endorment et parviennent enfin à feindre la réalité. Et parfois, gens de méthode et continûment d’ardeur, ils disent chercher l’heure du hasard, paradoxalement. Gourmands de fruits et plus ou moins avares, lanceur de graines pour eux-mêmes, ils sont curieux des « choses de Dieu », mais le plus souvent, ils s’en remettent à la bonne pour le vrai exemplaire. Et puis, n’y a-t-il pas de la barbarie à être frère d’argent ? Tarabusté à le reconnaître, leurs arguments théoriques les font grimacer de soumission. Éloignez vous de la foudre, bourgeois sans emploi, hommes communs, salut de votre patrie, chairs à farcir vos canons, aux amitiés circonspectes, les yeux ouverts sur votre maîtresse, la lâcheté, devenue par vos faveurs une vertu : ni trop de bien ni trop de mal. « Parce que vous n’êtes ni chaud ni froid, parce que vous êtes tièdes, je vous vomirai de ma bouche ». Les avares réclamaient un sens tout neuf pour leur police et leurs gouvernants rêvaient d’épines. Le spectacle des « autorités » excitent leurs paroles lors de petits dîners hebdomadaires. Ils se plaisent à régner sur les labyrinthes, ils ne manquent jamais d’une sublime incertitude métaphysique. Dominant les champs, ces gens croient mille vérités de par leurs expériences et s’en remettent à elles. Ainsi se développe l’apologie de l’erreur et c’est pourquoi il serait inutile d’entrer en extase au contact de leur société.
Le jour se reconnaît aux changements de période fixe et ces danseurs de corde, la tête tournée par le vent de leurs idées, tombent dans ma marmite à bouillir les gens. Avec armes et bagages. Avec costumes de compromissions et de manigances. Avec leur génie et le temps de leur argent. Et maintenant, soyez assurés, on en est pas moins libre quand tout ce qui avilit se dissout, lorsque n’ayant plus rien, croyez-vous, à partager, la mort encore se pose en barrage à la rivière de vos richesses, celles que vous négligiez dans vos dons. Cette fois, il le faut, après la marmite, le mortier. Vous qui vous moquez des mystères du poète, de quelles feintes, de quelles ruses dialectiques userez-vous, en des lieux derniers et discrets, devant l’amour, sans vous tromper sur vous-mêmes, devant les témoins qui réfuteront ce que vous aviez imaginé ? Croyez-vous qu’il suffise de lui déclarer votre attachement pour qu’il consente à vous absoudre ? Il sera à mon sens moins dommageable de vous taire plutôt que de proclamer votre hypocrisie, vos mensonges et votre imbécillité. Les faits sont durs. Vous n’acceptez pas celui-là même qui les a rapportés. Le plus grand drame serait de vous en défendre, de biaiser. La peur, le remords et bientôt les aveux en ce jour où personne n’éprouve les horreurs de l’autre mais seulement les siennes, au compte de son temps, le jour du grand débarras, fini, net, bien rangé. Arrêtons la vie ! Hâtons l’achèvement de ce travail tandis que la part du destin que vous me réserviez avec tant de soins, jamais ne soumettra l’aventure de mon âme à la vanité de votre accomplissement.

décembre 2004