Diderot II 3 – Premiers pas sur le néant

je ne sais en quel sens tous les corps gravitent dans les corps des géomètres
ni quel vaisseau renferme ma tendance au repos
je ne connais de l’essentiel qu’un inaltérable instant
un indivisible oubli dans l’indifférence
vers ma dissolution
car ma pensée
en elle-même
se détruit

par moi-même sans mouvement et sans vigueur
par moi-même inexistant
imaginé-je le repos hors du feu
de cette réalité qui n’existe point

que m’importe ma tête si je regarde quelque part avant toute naissance
que m’importe mon existence
que m’importe les conséquences de cette veuve
hors de ma tête si je suis
et me vois hors de l’univers
j’explose nécessairement mon corps laboratoire

quelle que soit cette tendance
je suis hors de moi et m’épuise jusqu’à l’intime igné
cela ne cesse ne cesse jamais
mon repos ne se trouvant qu’en la somme
des incendies qui remuent le monde
car rien n’est plus vrai que les corps comme corps ne mènent à rien
sinon à se confondre avec la masse du monde
son magma son acier et sa roche

oui sans doute mon intime est l’aimant de mon corps
pourtant est-ce que cela signifie que mon intime l’habite

non

je n’ai rien à voir avec le globe
et qu’en deux mots
– contrarié échauffé –
je fais voltiger l’or des cupides comme de la poussière
et volatiliser ce qui les abreuve
laissant le sel agir sur leurs certitudes
comme la chaux vive de leurs habitudes

tout ne doit-il pas être considéré comme si l’intime était le plus fort
dont les êtres qui ne sont qu’en idées
pour ainsi dire
en esquisseraient une foule de suppositions plus absurdes les unes que les autres
sans rapport avec la situation

je puis dire alors que je ne résiste pas plus à la masse
dans une proportionnalité inversement à sa grandeur
qu’à la pression qui m’opposerait un obstacle
puisque je ne peux connaître le contraire d’une chose que je ne sache

en quel sens je ne puis dire
je ne suis ni opposé à son mouvement et encore moins à sa force
puisqu’il ne m’est pas moins certain
que tout cela signifie donc rien

si je ne suis point je ne puis tomber pas plus que m’élever
pas plus qu’un sens eu égard à ma hauteur ou à ma base ne pèse
sur le vase dont moi-même je ne peux briser l’illusion ou la réalité
n’étant ni en expansion ni dissout
ni dans la machine de mes desseins
ni dans la machine qui brûle l’amas des corps
et recompose en sublimes autres
qui les dissout enfin pour les combiner encore

je ne sais d’où naît ce qui n’a pas de commencement
ici réfuté-je seulement les philosophes s’attachant à l’erreur
comme des mouches peut-être aux particules du temps
je dis peut-être car dans mon laboratoire tout se volatilise
jusqu’à leurs considérations
sur une question qu’ils n’ont simplement pas effleurée

ont-ils regardés un centre
ils en déduisent déjà une force intime
qui rend cependant impossible le plomb de leurs hypothèses

mais qu’est-ce que cela
sinon la déduction du centre inné de leur absurdité

le sexe sidéral accouche de bien d’autres choses que de têtes ou d’univers
il accouche toute conviction et toute obstination

l’intime qui
sans résistance
serait sans corps
alors
sans force
ne sentirait plus le poids
pendu au bout des cordes

19 mars 2006