La saison des amours occitanes

« … qu’elle est vaine, la louange des nations ! qu’elle est futile, la trompette de la gloire. Il y avait d’âpres épines dans cette feuille et les lauriers, et leurs crochets dentelés entraient comme une brûlure, comme une morsure, jusqu’à ce que du feu et de la rouge flamme semblèrent se repaître de mon cerveau, et changèrent le jardin en un désert nu. »

Oscar Wilde, La Maison de la Courtisane.

I : FIANÇAILLES

Il y a un an,
ce me semble,
fleurs de mars
qui croassent,
petits nuages
qui bourgeonnent.
Ne dirait-on pas la lune
pendant les fiançailles
de toutes les fleurs
aux charmantes étoiles ?
Que de vierges bleues dans la rivière
et de linottes brunes !

Il y a un an,
ce me semble,
le fruit du soleil
s’empourpre comme une lampe allumée,
chevauchant à son gré
par les sombres bosquets.
Tout en rêvant,
sa blessure en flamme
évapore le ciel turquoise.

Oh ! Les roseaux plièrent tandis que s’effondraient les tours,
et les enceintes des châteaux n’accouchaient que de soleils couchants.

II : LE BERGER

Quel étrange berger
triste et doux
qui, loin de toute crainte,
ne se soucie guère de l’oubli.

Oui ! parmi les morts,
la tête couronnée sous les lotus,
ce berger repose tout en gloire,
éveillé dans un rêve sublime,
nimbé de charmes solitaires.

III

Voyez ! Le plus brave tomba bravement.
Sa vie et son amour oscillèrent tristement dans les roseaux.

Portez vos regards, maintenant captifs,
sur sa fille.
Elle dort,
forteresse
souverainement maîtresse de la poussière.

Sans doute d’un misérable barbare et vain,
le cœur s’ouvre en plein air
face au front blanc de l’aube.
À la naissance de quelles lèvres
se dessinait si bien ce précipice
comme un œil rubis perle de sang et d’eau ?
La reine misère est mesquine et cruelle
vivante d’épines
couronnant les cendres.

Ô ! Que dorment en paix les cendres !

IV

Le marbre des lions s’émousse.
Des batailles,
on rapporta ceux qui moururent
sacrifiés à la servitude furieuse de la mer que balaient les vents.
Paroles seulement vents. Paroles seulement paroles.
Ou épées acharnées dans les batailles.

Et le poète empoisonne…

…quoiqu’illuminant
les hommes qui l’aperçoivent,
de loin,
avant l’orage !

Ses roses y fleuriront entrelacées.

V

Les cimes
des flots
brillent,
oiseaux effarouchés
volant en neige
d’argent.

Ô chéri carillon !
Ô mélancolique fleur oreille !
Ô comme mon cœur se noie dans le miel
lorsque sonne la rosée nuit des vêpres !

VI

Ô solitaire !
Ô bercée solitaire !
Bercée par la marée erre à ton gré !
Tout est fini.
Le bronze a coulé.

Quelle ruine éternelle !
Quelle tristesse !

N’a survécu au rêve que la douleur.
Ne ressuscitent que les cris du fond des eaux sans lumière.
Ne se fait entendre que la gêne impérieuse
D’un rêve sans rive.

Mais toi,
non plus,
ne brille.
Ta splendeur
a disparu,
ta magnificence
loin du pays.
Les chiens couronnés
se dressent avec la nuit.

Pour toi,
pourtant,
point d’exploit guerrier,
tant restes-tu plongée dans ce sommeil
qui allonge jusqu’à ta porte
la face noire de son flambeau.

Ne réveille pas
les asphodèles
ni les lis fauves.
Reste là, néanmoins,
fiancée farouche,
orageuse reine,
sous l’herbe drue
devant le figuier ou bien,
là,
lézard sur le mur ou bien,
là,
en cachette sous le cou de la chouette déchue
dont la grandeur captive,
tous les jours, un peu plus se flétrit.

Cependant,
qui donc,
du haut de sa tour,
peut dire à l’avance
lequel en premier chantera juste avant l’aube ?
Et quand donc éclate la rose
rougissant sur la neige
comme une étoile tempête ?

Ô tant aimée,
J’ai voyagé tout le jour
sur la route pourpre
de tes jours ensoleillés.
J’ai bu ton rire,
mon amour tourterelle à la cime des forêts.

Ô tant aimée, en ce jour,
peu de choses perdurent,
qu’un chant, qu’un murmure,
qu’un souffle ébranlant la folie de mon cœur sur les tendons des lyres
lorsque j’éprouve le silence maintenant monotone
de l’écorce et du temps.

VII

Adieu !
pourpre
marécageuse
cercle mourant,
lumière étendue.

Ici :
souvenir
de printemps,
de gazon,
de fleurs
adolescentes,
de tous côtés,
par la bise,
dispersées.

Adieu !
Ou bien,
au diable !
Minuit dort.

VIII : RIEN DE PLUS

Poignarder
une voyante
qui surprendrait mon trésor
et n’être, je le jure,
qu’une légère écume
des jours se chamaillant
sur tes lèvres.

IX

Pendant plus de temps
qu’il me faut pour contempler
à travers l’immobile mouvement des galaxies ta silhouette qui roule,
vient l’aurore et,
lorsque je m’éveille,
tu es là.

Pendant tout ce temps,
chinant l’heure à son déclin,
j’épie sur ta gorge de somnolente statue
l’exquise esquisse du matin.

Je laisse passer une main sur ton corps.
Je laisse toucher une paume de velours.

Je sais lire les hiéroglyphes
sur ta peau.
Ô ! Dis-le moi,
étais-tu présente,
quand je m’agenouillais devant ton joyau salé ?

Te souciais-tu des baisers
funèbres
sur ces fleurs couronnées
de lunes qui dorment
dans les coins de tes grands yeux
où je m’évanouissais
sans autre souvenir ?

X

Dis-moi, ce soir,
qui te guidera pour traverser le désert ?
Sûrement pas ton ombre pleine de
parfums.
La nuit l’a lapée,
assoiffée de ton corps.
La nuit ne sera en paix qu’ayant vider ton regard.

XI

Dis-moi.
Parles-moi du granit
au-dessus duquel voltige
la rosée
comme somnole déjà goutte à goutte un crocodile en larmes.

XII

Des psaumes maudissent
le jour du cri de chaque naissance.
Comme chaque âme rampe passionnément !
Et combien frissonne
la poussière de chaque aura !
Chaque jour
se lézarde
d’une rivière sur son rivage.

XIII

N’est-il plus monstrueux des brouillards
celui qui avait l’éclat de la passion
et qui me tordait en nœuds
imbriqués
comme sorti en flammes
de tes seins ?

XIV

Quel inavouable secret traînais-tu
séjournant enroulé dans l’écume
cristallisée de ton âme,
ou bien
parsemé de cactus
parmi les embruns
d’un nouveau soleil couchant,
ou bien encore
échoué
vers le crépuscule en lin
à l’incertain contour
furtif jusqu’au bord silencieux,
sous la voûte
lupanar noir sarcophage,
défunt,
ou bien tourmenté de mouches
qui
n’avaient d’yeux
que pour la colombe
aux ailes étranges,
ou bien jeté à tes pieds,
derrière l’arôme de ton sourire,
quel terrible secret
fut compagnon de ton lit ?

XV

D’aquatiques
trompettes parfumées
de nard et de thym
retentissaient d’or.
Elles cuirassaient la beauté
d’un désert
tel que je le touchais jusqu’à l’aurore
en dévalant le sable
sur la dune de tes seins.

XVI

Du bouche à bouche avec les flammes,
j’appris comment je fus en proie
à tes murmures.
Le sang dans mes oreilles
rugissait à la manière d’un fleuve,
vaporeux,
serpentant sur son lit de graviers.

XVII

Du nacre et du porphyre,
Des pans de soie et des tours en ivoire,
des émeraudes hissées depuis la lune ?
Aujourd’hui,
l’or est plus noir qu’un nubien nu,
et le granit
a bien raidi le paon.

Ô les marchands
apportaient la plus vile des coupes !
Les marchands apportaient des caisses de cordes.
Seigneurs maintenant de l’impure vipère,
ils rampent devant nos demeures en ruines
où se tapissent nos âmes sauvages et vagabondes.
Qu’ils lancent leurs appels à travers des tambours
en peau de singe,
qu’ils piaillent !
La vie s’est figée et nos cœurs ont éclatés.

XVIII

Ci-gisent les fragments çà et là
d’un vent de granit.
Ci-gît les éclats du désespoir errant
à travers ce vaste désert sans baiser.

Eh bien
jetons ces jadis !

ces morceaux abandonnés et
ces débris de folles
pierres insensibles
et sourdes.

J’aimais mieux pourtant ton corps
qu’enroulait ta chevelure.
J’aimais mieux les fruits rouges
de tes lèvres que le précipice
où m’entraîne leur souvenir.

Hâte-toi, ne crains rien !
à mourir,
comme ceux qui moururent avant toi
face aux faces de chacal.

De ceux-là qui trépassèrent avant toi,
leur tête, quoique décapitée,
montrait encore des yeux palpitant de lumière
qui, à chaque aube,
criaient la joie en leur amour éternel.

Les débris gisent dans le limon,
et le blé
se flétrit, je le sais,
mais je sais aussi
que les grains relèveront à grand bruit
les réjouissances symbolisées
par les baisers sur nos bouches.

Accoure au vent !
Attelle ta route !
Tu ne t’es que trop lassée
comme une trace errante à travers les plaines
sur la crinière du gazon.

Va-t’en de cette langueur,
lourde
rosée
empoisonnant tes yeux,
danse stagnante de ton pouls.
Va-t-en ! Va-t-en ! Va-t-en !
Va-t-en jusqu’au trou !

Ô va-t’en ! Hâtes-toi !
Par la porte, va-t’en ! Avant qu’il ne soit trop tard,
va-t-en et vois ce qui frissonne autour :
la pluie ruisselante,
les larmes taillées en diamant
plus fabuleuses que les furies chevalines
de l’enfer. Va-t-en, loin
des pavots qui t’incarcérèrent
rien qu’en les étudiant !

Laisse-moi promener sur
le monde un regard las, et pleurer vainement
comme la pluie sur les âmes qui meurent.

XIX : À LA MYSTÉRIEUSE MATÉRIALITÉ

Un homme
a tracé d’une main svelte
une jeune fille aussi belle que son désir.
Pourtant ce n’est plus qu’il veuille aspirer
la volupté mystérieuse
ni l’intime secret.

Il semblerait préférer
l’ivresse de sa présence
à une passion seulement esquissée.

XX

Le ciel tournoie.
Des ombres montent de la mer.

La dentelle de la nuit
silencieusement
divague sur les maisons.

Et s’envole des cimes tierces
l’oiseau battant la mort des ailes.

XXI

Les escaliers
fatiguent ceux qui comme moi
tombèrent
à la guerre
ou furent suspendus
aux familiarités sales.

Maudire est préférable
aux plaisirs éternels ah ! du silence !
derrière les barreaux scintillants des étoiles.

XXII

Est-ce déchoir
à ton gré
cette douleur que tu dis gaspillée ?

Est-ce aimer si bien
les lieux de torture
qu’avoir pour toi l’inextinguible feu ?

Ah ! Soufrais-je par ambition
banale que je vête
mon cœur nu d’une inaltérable pierre
et que la joie me devienne chose inconnue
comme au lierre ce mur trop lisse ?

Plus d’un homme ainsi a,
libre, foulé aux pieds
la liberté.

N’y prenant pas garde,
l’aigle de sa hauteur
foulait aussi l’air
sur nos chevelures.

Sais-tu comment
nos bouches pensives
se cicatrisèrent à la chute des feuilles auréolées de mort ?

Quelque chose, un instant,
ta main dans ma main,
face à face contemplée,
semblait nous l’avoir fait oublier.

Ce ne furent toutefois pas les barreaux des étoiles.

XXIII

Chère
mystérieuse emprisonnée,
qui mange ton pain, qui boit ton vin ?
Ce ne sont point les religieux
qui tombèrent
à genoux
d’idolâtrie !

Non plus ceux qui, pour montrer leur amour,
se firent
l’un,
héritier de ta peine,
ou l’autre,
valet de tes souffrances.

XXIV

Le soleil est trop pâle,
sonné par un rossignol.

Et les baisers trop rudes
lorsqu’en naissent les orages.

Sûrement nos yeux ont eu raison du silence.
Mais quelle fatale,
entre toi et moi, fatale mélodie.

XXV

L’abeille
fourrure
branle une jacinthe,
je crois, en faisant un vœu.

Une brise
duvet
là-bas souffle
un murmure aux vagues.

Regarde là-haut
l’étoile
en route pour nos rêves !

Chérie, il ne nous reste rien
qu’un poignard
qui de son glaçon creva nos seins.
Oui rien
il n’y a
sinon à faire
jamais nous arrêter.

XXVI

Ce monde ne connaît que ruines et tumultes.
Tirons les rideaux
tandis qu’il viole la mer endormie dans les coquillages.

XXVII

Ô ! Je n’ai cure des larmes qui éclaboussent
d’un grand fracas
ma solitude,
privé de ta présence.

Ce chagrin vaut mieux
que les privations forcées du travail.

XXVIII

Sais-tu ?
Il faut labourer le sol lorsque tombent les larmes.

Sais-tu ?
Il ne faut pas défaillir quand s’ouvre
pour la première fois la porte.

Sais-tu ?
L’éternité est vaine si nous ne pouvons la voir.

XXIX : DÉCOUSU

Sous le soleil de midi
s’égare la lune.

Soleil humain
je suis un nouveau-né
qui effare les alouettes.

De ma tête les coutures j’ôte :
parfois le déshonneur des morts
est une guirlande belle à voir.

M’asseoir sur une pierre chaude,
jusqu’à ce que mes yeux eussent tissé
des flots
au soleil,
et laisser murmurer mon cœur indocile
ses non, non !

Les rêves ne sont pas vains
quand ils prennent
racines
en des âmes fécondes.

XXX

Blonde enfant
qui tombe dans ce monde oreille
et vogue sur les vagues aspire larmes.
Blonde enfant
qui perce le voile brouillard,
la pluie tache ta lèvre, rouge hélas !
Hélas ! les moissonneurs sont indifférents à ta douceur :
ils récoltent même les fruits la nuit.

XXXI

Flétri
tombe du lit.

Tombe dépouillé
sur le sol des heures mortes
comme gisent les vents sur l’herbe.

Traîne
l’hiver
par une roue et
pousse dans l’obscurité
ma
chine
allemand
la dentelle du jour.

XXXII

Ô toi
que
j’aime
fleur aux lèvres légères,

Ô !
lève-toi
aimée, de peur que
le vent ne souffle les étoiles de la bouche.

XXXIII

Voici : j’aime en secret,
sans rien dire
des pulsations
de mon cœur
ni du cristal de ses yeux.

Comment parlerais-je sans rien savoir de ce miracle ?

XXXIV : IMPOSSIBLE MORSURE

Est mien
prisonnier dans son cachot
passager de la tourmente incessante
cet amour
flétri
qui ne peut ravir
les roses sur ta bouche.

XXXV

Va au hasard le hasard va.
Et papillonne et tourne avec le vent !
Et tourne et danse !
Flotte sur l’étrange transparence !

Dans la poussière, toutefois tu tomberas,
des feuilles à l’automne,
discrètement qui
se posent sans l’ombre d’un fil.

XXXVI

Je n’ai point,
pour parer la campagne,
comme jadis,
de mélodie.

Que crains-tu ?
Je ne
reviendrai jamais
plus
me glisser furtivement à travers
les roses
d’automne
pour deviner ce qui joue là-haut sur la colline
silencieusement.

XXXVII

Çà
et là,
dans l’ombre et le brouillard,
se flétrissent
les empreintes de nos pieds.
Ainsi la vie pâlit tandis que s’allonge
un déjà blafard ondulé.

XXXVIII

Hors du bois
s’élançaient mes yeux bruns
qui allaient
par bonds à travers les ombres
prendre en chasse le rossignol
aux abois de ta robe
qui se déplaçait en dérobant
tes reins.

XXXIX

Je ne saurais ce que je n’ose dire.

J’a emporté jusqu’à la chevelure
du vent lorsque l’hiver endurcît
les corps dépouillés de leur charme.

Je ne saurais dire si tu me comprendras.

XL

Va dans ces pages !
Peut-être verras-tu ce que je voulus
et ce qui y dort.

XLI

Depuis trop longtemps enfoui
ce désir
s’est couvert de lierre,
nos voix
se sont brisées
sans note,
nos yeux
se sont éteints
et nos bouches
depuis bien longtemps
ont cessé de sourire.

La pluie nous lève en sursaut
rappelant nos larmes qui
sans cesse
se révoltaient
contre les vitres.

La pluie descend du ciel
pour réveiller l’enfer de nos cerveaux.

XLII

Les rêves me hantent
dans un jardin clos
comme des oiseaux
étranges et secrets
qui jettent des
regards furtifs du fond
de leur cachette stellaire.

Et pourtant, pourtant mon sommeil s’emplit de plomb.

Et pourtant, pourtant sur le cadran solaire,
dans les splendeurs nocturnes,
je ne meurs pas
sans souci.

Alors comment ignorer
en quoi consiste
la vie ?
Nourrir le soleil
de nos rires,
nourrir ce jardin clos
de chants soudainement
silencieux et pesants.

Entre le crépuscule et l’aurore
qui ne connaît point la mort ?

XLIII

Moments
vains,
futile
gloire
de ces feuilles qu’entre vos mains
semblent de l’aube se repaître,
à la manière du feu solaire
ainsi,
vos cerveaux
qu’avec force
ils arrachèrent du front céleste
les étoiles merveilleuses et craintives
pour effacer le gris sans trêve
des cendres douloureuses qui rongent
sans plus de sang vos rêves.

juillet 2005/février 2006