Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse à l’occasion de l’extension des lignes du TGV – Encyclopédie des nuisances

« Tout le système du chemin de fer est destiné à des gens qui sont toujours pressés et donc ne peuvent rien apprécier. Aucune personne qui pourrait l’éviter d’une manière ou d’une autre ne voyagerait de cette façon. Elle prendrait le temps de voyager à son aise par les collines et entre les haies, et non à travers des tunnels et des remblais. Et celui qui malgré tout préférerait cette sorte de voyage, celui-là ne posséderait pas un sens assez développé de la beauté, pour que nous devions lui adresser ensuite la parole à la gare. Dans cette perspective, le chemin de fer est une affaire sans intérêt dont on se débarrasse aussi vite que possible. Il transforme l’homme qui était un voyageur en un paquet vivant. »
John Ruskin

Au XIXe siècle, le territoire a été bouleversé par une première vague d’industrialisation, et en particulier par l’implantation généralisée de lignes de chemin de fer. Ce nouveau moyen de transport fut critiqué par une fraction de la classe dominante restée oisive et qui, par ses goûts et sa sensibilité, était attachée aux anciens plaisirs du voyage, que le train allait abolir. En contrepartie, il permit un réel développement de la liberté de circulation, avec toutes ses heureuses conséquences sur la vie sociale.
Nombre d’arguments sensibles autrefois utilisés contre les premiers trains peuvent l’être aujourd’hui, à bien meilleur escient encore, contre le TGV. D’autant plus que son implantation ne comporte cette fois aucune contrepartie ; au contraire, elle contribue à un nouvel enclavement de régions entières, à a désertification de ce qu’il reste de campagne, à l’appauvrissement de la vie sociale. Et ce n’est pas dans la classe dominante, où tout le monde désormais travaille d’arrache-pied et joue des coudes pour rester dans la course économique, que l’on se risquera à juger tout cela à partir de goûts personnels, sans parler d’avancer quelque vérité historique que ce soit. Il faut donc qu’à l’autre pôle de la société des individus que ne presse aucun intérêt carriériste d’aucune sorte, pas même en tant que « contre-experts » ou opposants officiels, se chargent d’énoncer toutes les bonnes raisons, tant subjectives qu’objectives, de s’opposer à cette nouvelle accélération de la déraison. L’alliance qu’ils ont formée pour publier ce texte aura sans aucun doute d’autres occasions de se manifester et de s’étendre.

Le meilleur des mondes possibles

Le monde moderne n’est rien moins qu’heureux (voir son abondante panoplie pharmaceutique), mais il peut afficher sous le nom de « consensus » une indéniable réussite : il semble avoir réussi à accorder, dans une espèce d’harmonie encore peu troublée jusqu’ici, des puissants qui dictent ce que doit être la vie et des pauvres qui ont perdu l’idée de ce qu’elle pourrait être ; des industriels de l’alimentation et de la culture frelatée, et des consommateurs mis dans l’incapacité de goûter autre chose ; des aménageurs que rien n’arrête dans leur destruction des villes et des campagnes, et des habitants que rien le plus souvent ne retient là où ils sont, hormis l’enchaînement à un travail quelconque; des technocrates aux yeux desquels pays et paysages n’existent que pour être traversés de plus en plus vite, et des usagers des transports toujours plus pressés de quitter des villes devenues invivables, et d’échapper à la cohue en se jetant en masse sur le routes, dans les gares et les aéroports… En somme, tout est pour le mieux dans le « meilleur des mondes possibles » , du moins tant que ce monde moderne reste perçu comme le seul possible, aussi indiscutable que tous ses progrès techniques ; autrement dit, tant que personne ne pose une de ces simples questions qui porte sur l’emploi de la vie : pourquoi diable faudrait-il toujours et à n’importe quel prix gagner du temps sur les trajets, alors que c’est précisément cette transformation du voyage en pur transit qui le fait paraître d’autant plus long, qui l’apparente à une véritable corvée ? Au point qu’aujourd’hui il faut introduire la télévision dans les TGV – comme bientôt dans ces automobiles où les Français passent en moyenne trois heures par jour -, pour tenter de distraire d’un tel ennui. La boucle de la déréalisation du voyage sera parfaitement bouclée quand ces télévisions donneront à contempler sous forme de clips touristiques les agréments des régions traversées…

Les oppositions locales qui se sont constituées dans le Sud-Est contre le tracé de la ligne du TGV ne prétendent certes pas remettre le monde sur ses pieds ; et il est certain qu’il y faudra d’autres forces, mais ce sont justement de telles occasions qui peuvent permettre de les réunir. Ces oppositions ont en effet le mérite de faire apparaître, par leur simple existence, que des individus, plus nombreux qu’on veut nous le faire croire, sont décidés à ne pas lâcher pour l’ombre du « progrès » des aspects de leur vie qu’aucun progrès technique ne saurait leur rendre. Dès lors vacille la fausse évidence d’un si singulier « bien général », composé des maux particuliers de tant de gens. Pour qu’elle s’effondre, d’abord sur ce point, puis peut-être sur d’autres, il reste à ne pas la bousculer à moitié : si l’on adhère aux « raisons » du TGV en tant que transporté potentiel, on n’est évidemment pas des mieux placés pour les refuser en tant que riverain lésé. Et on doit au contraire reconnaître que le fait d’accepter par ailleurs l’ensemble des fameuses « nécessités de la vie moderne » prive de toute bonne raison de refuser le TGV, en tout cas de toute raison qui puisse intéresser quiconque n’habite pas immédiatement du bord des voies projetées.

On disait au XVIIIe siècle : « Si vous ne savez pas être libres, sachez au moins être malheureux ! » Pour répondre à cela, il faut affirmer tout net : si nous ne voulons pas apprendre à être malheureux, sachons être libres. La première liberté à prendre consiste ici comme ailleurs à juger et à dénoncer tout ce qui déguise une contrainte en son contraire, et prétend la faire aimer.

Qui ne dit mot consent

On a parfois prétendu qu’un crime commis en commun fonde une société. Ce qui est certain, c’est que toute « honorable société » – toute mafia – impose sa loi du silence en mouillant dans ses agissements un maximum de gens. Les mafias du progrès ne procèdent pas autrement, elles cherchent à nous impliquer de quelque façon, à nous tenir par un petit avantage qui ferait de nous des complices. Sur le modèle d’une récente publicité d’EDF, selon laquelle nous aurions tous intérêt à l’existence de centrales nucléaires, puisqu’il nous arrive de préparer un gratin dauphinois ou d’écouter de la musique de Bach, il s’agit de nous réduire au silence au nom du cui prodest : le crime nous profite, c’est clair ; comme nous n’avons pas su l’empêcher, nous n’avons plus qu’à nous taire.

Toute la propagande en faveur du TGV peut ainsi être ramenée à deux sophismes, ou plutôt à un seul, opportunément réversible : ce qui nuit à tous profite néanmoins à chacun personnellement, du mal général sort le bien particulier – des paysages sont saccagés, des villages et des bourgs deviennent invivables ou disparaissent, des biens qui n’étaient à personne, comme le silence ou la beauté, nous sont ôtés, et nous découvrons alors combien ils étaient communs. Cependant, isolément, pour son propre compte de gagne-petit du progrès, chacun est intéressé, deux ou trois fois par an, à traverser la France en quelques heures. Il est donc dans le coup, il en croque, il lui est tout aussi interdit d’avoir un avis là-dessus que sur le salariat ou la marchandise, dont il est avéré chaque jour qu’il ne peut se passer.

Ce sophisme peut être renversé sans cesser de s’opposer à la vérité. Il devient alors : ce qui nuit à certains profite néanmoins à tous, de ce mal particulier sort un bien général. Cette version-là sert à chaque fois que quelque part des individus précis, réels – non pas « l’usager des transports » en général, le fantôme des statistiques de la SNCF -, s’opposent aux diktats des aménageurs. Voilà qui serait d’un inconcevable égoïsme, sans exemple dans une société si uniment vouée aux intérêts universels de l’humanité.

A la base de ces piètres mensonges, il y a l’intérêt supposé du « transporté » à se déplacer toujours plus vite. Mais qui, aujourd’hui, avant que soit imposé à tous le besoin du TGV, est vraiment intéressé à se déplacer plus vite, sinon précisément ceux qui, avec armes et bagages, vont ainsi porter plus loin la désolation ? C’est cette clientèle que la SNCF dispute à l’avion. C’est pour ce
fret humain standardisé et conditionné, ces « turbo-cadres » (comme ils se nomment eux-mêmes), qu’il faudrait traiter la plupart des villes de France comme des banlieues de Paris.

Seuls ceux qui vendent suffisamment cher leur propre temps, sur le marché du travail, ont intérêt à acheter le gain de temps proposé par le TGV. Mais la grande différence avec l’ancienne hiérarchie sociale, même si c’est encore là un avatar de la vieille société de classes, c’est que désormais ces privilégiés de la mobilité imposée, plutôt que permise, sont fort peu enviables, pour quiconque n’a pas perdu toute sensibilité : aucune rapidité de déplacement ne rattrapera jamais la fuite du temps monnayé, vendu au travail ou racheté aux loisirs. Raison de plus pour vilipender de tels « avantages », qui ne font le malheur des uns que pour permettre aux autres d’accéder à un lugubre simulacre de bonheur.

Mobilis in mobili

Si la mobilité conserve encore quelque peu son prestige ancien, elle ne peut pourtant plus permettre à quiconque d’échapper à la mobilisation par l’économie moderne. Ce que promettait la liberté de circulation a en réalité été détruit en même temps que la possibilité de ne pas en user : astreints au salariat, à la quête de moyens d’existence et aux loisirs organisés identiquement, les individus ont collectivement perdu dans cette course économique leurs raisons de quitter un lieu, comme de s’y attacher.

La libre circulation a été une des causes les plus sûres de renversement des despotismes, mais en fin de compte ce sont les marchandises qui l’ont conquise, tandis que les hommes, ravalés au rang de marchandises qui payent, sont convoyés d’un lieu d’exploitation à l’autre. Au terme de ce processus, la promesse d’émancipation que contenait le fait de ne plus être contraint de passer son existence dans un lieu unique s’est renversée en certitude malheureuse de ne plus être chez soi nulle part, et d’avoir toujours à aller voir ailleurs si l’on s’y retrouve. Le TGV correspond à ce dernier stade : il y a en effet une certaine logique à traverser le plus vite possible un espace où disparaît à peu près tout ce qui méritait qu’on s’y attarde ; et dont on pourra toujours aller
consommer la reconstitution parodique dans l’Eurodysneyland opportunément placé à « l’interconnexion » du réseau.

Toujours les hommes ont cherché à s’affranchir de l’assujettissement dans lequel les puissants les tenaient par la délimitation de l’espace. Déjà les anciennes communautés s’étaient effritées à mesure qu’on préférait aux formes de vie réglée et étouffante la tentation de faire sa vie soi-même. Le développement économique, provoquant la remise en question des acquis par les nouvelles générations, l’innovation technique et une plus grande mobilité sociale, a pu longtemps capter ce désir d’inventer sa propre vie, de créer ses propres valeurs. Il a fallu qu’une fois débarrassée des obstacles que constituaient divers vestiges historiques, la vitesse toujours croissante du mouvement de l’économie montre qu’elle ne menait pas à autre chose qu’à son emballement sur place, dans l’autodestruction de la société, pour que se développe massivement le désir d’aller chercher ailleurs non plus du nouveau, mais de l’ancien en quelque sorte, c’est-à-dire ce qu’on a vu ravager là où on vit. Et ce n’est pas un hasard si le mot « évasion », qui désignait la fuite des esclaves, la cavale des taulards ou l’exil volontaire des transfuges de l’Europe de l’Est, sert aujourd’hui à qualifier, de la même façon, la ruée sud-estivale des civilisés hors des villes et du rythme épuisant du salariat.

Si les trajets individuels peuvent éventuellement varier, de circulations répétitives en évasions furtives, en revanche les destinations de cette société, auxquelles tous les trajets ramènent, sont mondialement identiques, et chacun y reste soumis. La vitesse n’est alors qu’une obligation supplémentaire, une illusion imbécile.

Perdre son temps à en gagner

Tous les promoteurs des moyens de transport considèrent comme une sorte d’évidence incontestable le fait que « la vitesse fait gagner du temps », et ils ne manquent pas de le rappeler à chaque nouveau projet. Le sens commun admet ce fait, conforme aux lois de la physique. Mais la pratique semble, quant à elle, plutôt l’infirmer, tellement le temps perdu dans les transports ou pour les transports s’accroît avec leur vitesse.

Pour les sciences physiques, la vitesse est bien une fonction du temps et de la distance. Mais pour le malheur des technocrates – qui ne semblent guère aller plus loin que leurs calculs – nous ne vivons pas dans le monde conceptuel des sciences physiques. Plus la vitesse instantanée d’un véhicule est élevée, plus grande est la résistance du milieu physique (résistance de l’air et frottements du sol), du milieu naturel (relief et terrains) et du milieu humain (réaction des riverains aux nuisances à venir) ; plus il faut de moyens pour vaincre ces résistances sauvages, pour les anéantir, plus il faudra de travail pour produire ces moyens, et pour les employer ; au bout du compte, moins la vitesse effective des passagers (le rapport entre les distances qu’ils parcourent et tout le temps consacré aux transports) sera élevée.

Si on cumule la totalité du temps de travail social dépensé pour le transport (construction, fonctionnement et entretien des moyens de transport ainsi que les retombées diverses, hospitalières et autres), on constate que les sociétés modernes y consacrent plus du tiers de leur temps de travail global, bien plus que ce qu’aucune société préindustrielle, pas même celle des nomades touareg, n’a jamais dépensé pour se mettre en mouvement. Au-delà d’une certaine vitesse, les transports rapides sont contre-productifs, ils coûtent à ceux qui les utilisent plus de temps qu’ils ne leur en font gagner, ce qui ne les rend pas moins profitables à leurs propriétaires. Les salariés perdent leur temps à gagner leur vie, et les consommateurs perdent leur vie à gagner du temps.

Les gens souhaitent pourtant supprimer cette contrainte qui fait du temps une denrée rare, et de leur existence une course sans fin pour rattraper un mode de vie qu’on leur représente comme désirable… et leur vie réelle leur file entre les doigts : « Vivement ce soir… vivement le week-end, …les vacances, …la retraite. » Cette aspiration désarmée laisse la voie libre aux technocrates qui peuvent, avec toute l’apparence de la froide objectivité, proposer des solutions techniques, c’est-à-dire substituer aux caprices des hommes des choses solides et des machines bien réglées. Aussi, la fonction créant le besoin et non l’inverse, ce que les moyens de transport permettaient est devenu obligatoire; si nos ancêtres ne pouvaient, faute de moyens, parcourir de grandes distances, nous, nous devons les parcourir.

Les transports ont permis d’aller plus loin et plus vite, d’accéder à davantage de lieux, qui ont dû être aménagés principalement à cause de leur fréquentation, et se sont ainsi banalisés. Il a résulté de cet aménagement une spécialisation de l’espace et une redistribution des activités concentrées en différents points du territoire (technopoles, parcs de loisirs, sites prestigieux, centres industriels, commerciaux et administratifs, supermarchés, cités-dortoirs, banlieues, etc.), ce qui nécessite évidemment des transports plus rapides encore pour supprimer les nouvelles distances ainsi créées. Si nous parcourons en un an plus de distance que nos ancêtres pendant toute une vie, ce n’est pas pour aller ailleurs, mais pour nous rendre toujours aux mêmes endroits.

La course du rat

La désertification des campagnes, l’entassement dans des banlieues sans nom et dans des villes invivables, la standardisation des existences, la vie totalement dominée par les impératifs économiques, le temps dit libre et les loisirs devenus eux-mêmes marchandises, le sentiment croissant de l’absurdité d’une telle vie et la fuite en avant continuelle pour tenter de l’oublier, voilà le lot commun de notre époque. D’exigence essentiellement économique, le transport rapide des marchandises et des hommes est devenu une fin en soi (« nous avons rapetissé le monde », clame une compagnie de charter); les exigences fonctionnelles de la vie stéréotypée des cadres, courtiers et courtisans de cette mobilité marchande et éritables appendices biologiques de l’économie, se sont imposées à l’ensemble de la population comme besoins dominants.

Quoi qu’on puisse penser du caractère peu enviable de la précipitation perpétuelle des hommes d’affaires, des « responsables », ou du jeune homme moyen, qui a presque toujours l’air de surgir en VTT d’une bouche de métro, ou du bureau, il faut malheureusement admettre que leur allure est devenue le modèle. L’ironie de l’Histoire est d’avoir donné au slogan de Mai 68 « Vivre sans temps mort » ce contenu si pitoyable.

La psychose de l’urgence en toute chose s’est emparée des populations. Effectivement disponibles pour tant de pratiques différentes, toutes moulées à la même louche, nos contemporains semblent frénétiquement vouloir les goûter toutes, surtout n’en manquer aucune. Il faut y aller ! A peine sorti du charbon, il faut courir au four et au moulin, à la montagne et au bord de la mer, aux tropiques et au cercle polaire, en un temps record, tant l’existence, littéralement lessivée, semble avoir rétréci au cours des temps. C’est en premier lieu dans les déplacements professionnels que s’exprime, sans retenue, ce despotisme de la vitesse : les flux économiques présents partout « en temps réel » en sont d’autant plus volatils, la course des business men d’autant plus désespérée, puisque tout est à recommencer, perpétuellement. L’épopée de pacotille que l’idéologie néo-libérale a élaborée autour des gesticulations des chevaliers d’industrie, golden boys et autres canassons, aura finalement porté ses fruits : il faut supprimer le trajet ; il est impératif d’arriver seulement.

Pour une foule de raisons dont la moindre n’est pas la démission devant l’énigme qu’est devenue l’invention de leur propre vie, les hommes ne veulent plus se déplacer à un rythme sensible ; ce n’est pas qu’ils aient foncièrement du goût pour la vitesse, mais plutôt qu’ils ne supportent plus de se déplacer lentement. L’effacement de toute communauté possible comme de toute individualité profonde a
produit un isolement quasi schizophrénique dans les transports modernes comme dans la vie urbaine dont ils sont l’extension. La littérature de gare, apparue avec les chemins de fer, s’accompagne maintenant de l’usage du walkman, et l’équipement vidéo des rames doit combler le silence pesant qui y règne. Ce qui n’a plus d’attrait doit être écourté et diverti ; le déplacement (métro, train, voiture, ferry, avion) n’est plus que du temps mort, perdu, du temps d’ennui.

Aller vite et loin était d’abord abstraitement désirable ; c’est devenu concrètement indispensable pour la plupart des gens, tant ils n’ont rien à faire ni personne à rencontrer sur leur chemin. Le TGV répond parfaitement à ce fallacieux besoin ; il n’est pas une banale amélioration du train, mais quelque chose d’autre, « un Airbus en vol rasant », comme l’écrit si finement l’imbécile de service du Monde. Les conditions du transport aérien sont descendues sur terre et rien ne les fera décoller.

L’abstraction du voyage aérien s’est légitimement imposée sur terre quand celle-ci est devenue aussi vide que le ciel. Aller loin sans s’arrêter nulle part, survoler des pays où l’on ne mettra jamais les pieds et dont on ne saura jamais rien, voilà l’expérience démocratiquement répandue par le TGV. Avec le maillage complet du territoire et l’élimination progressive des lignes classiques de chemin de fer, les conditions communes du transport moderne vont s’abattre, de la même manière démocratique et obligatoire, sur l’ensemble de la population. Décor clean comme un fast food, air et passagers conditionnés, nourriture de synthèse, ambiance anesthésiante, tout doit prouver au transporté, maltraité et pressuré par les exigences informatiques de la machine à transporter, qu’il a droit effectivement aux conditions de l’actuel transport aérien de masse sur lequel ergonomistes et psychologues ont calculé leurs normes : remplissage maximal et isolement total dans la promiscuité.

à quoi sert l’utilité

Répondant à un besoin falsifié, forcé par les contradictions d’une existence asservie, le TGV appartient à la famille du four à micro-ondes, si pratique quand on ne sait plus préparer à l’avance quelques mets. Le développement technique, entraînant chacun dans la spirale infinie de maux qu’aggravent chaque fois leurs faux remèdes, s’impose ainsi comme une évidence à des civilisés de plus en plus démunis, avides de se parer de prothèses pour pallier des capacités et des aspirations bien abîmées. Pour qui a oublié, ou n’a jamais su, que voyager signifie modifier son trajet et ses arrêts au gré de son humeur, le TGV peut faire figure de progrès, et d’autant plus indiscutable que la possibilité de voyager réellement est progressivement interdite par d’autres progrès de la même farine. Ce qu’il reste de campagne, d’où a été abstrait tout ce qui n’est pas identifié économiquement et où ne subsistent que beefsteaks sur quatre pattes, hectares de prés bonifiés, et quotas de mamelles, ne mérite guère que d’être traversé à grande vitesse.

Ce singulier bonheur assisté par ordinateur serait parfait si industriels et consommateurs pouvaient rester en lévitation, les uns obnubilés par la rentabilité espérée de leurs investissements, les autres tétant goulûment leurs irréelles compensations périssables, perpétuellement rénovées. L’ennui, c’est qu’aussi grande que soit la vitesse de ce monde à traduire chaque élément vivant en équation économique, il y aura toujours cette inconnue qu’est la multiplication des nuisances, avec les réactions de rejet qu’elle suscite.

A peine les illusions marchandes sont-elles blâmées, voilà la béatitude techniciste qui vient répondre que seules les réalisations du passé seraient friables et sans avenir, et que rien de fâcheux ne peut rester durablement sans solution. On peut même ainsi, après coup, faire le procès de chaque nuisance, pourvu que le raisonnement donné pour imparable, et qui les forge toutes, continue sur sa lancée et aille plus loin en créer de nouvelles. Les panacées techniques successives, dont les faillites répétées envahissent progressivement tous les aspects de la vie, témoignent suffisamment de l’impasse dans laquelle l’humanité est engagée. La dépossession est à ce point prise de vitesse par ses conséquences ue chaque désastre, qui naturellement en découle, semble imposer de nouveaux recours urgents aux mêmes précaires palliatifs, et bien sûr aux mêmes spécialistes, qui les tiennent prêts.

Une telle fuite en avant ne saurait avoir de fin : tout sera toujours englouti, et à recommencer indéfiniment. La perspective d’obtenir un quelconque résultat bénéfique à l’immense majorité (moins de travail par exemple) n’est d’ailleurs même plus évoquée par les dirigeants. La véritable utilité du développement technique du monde moderne est désormais là : sa fonction sociale est d’empêcher la solution des problèmes qu’il pose en en créant toujours de nouveaux. En accord vec l’adage « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », la prolifération d’une technologie autodestructrice permet de contourner la contradiction historique d’une richesse perpétuellement confisquée.

On peut par conséquent décrire le TGV comme une arme de plus dans l’arsenal à l’aide duquel la société présente combat les possibilités émancipatrices qu’elle contient et pilonne les diverses contrées de l’existence. Depuis qu’un ministre de la Défense a comparé l’entrée des troupes françaises en Irak à la course d’un TGV, la fonction dévolue à ce moyen de transport dans l’imaginaire des décideurs devrait être mieux connue. Le modèle – évidemment japonais – n’était-il pas déjà dénommé « train obus » ? Les effets réels sur les populations bénéficiaires seront sans doute aussi obscurcis que peut l’être le lien entre la campagne militaire tonitruante dans le Golfe et le « drame » des populations kurdes ou la catastrophe des puits de pétrole en feu. C’est bien d’une guerre qu’il s’agit ici, dont la percée du TGV (« balayant tout sur son passage ») est un moment décisif ; avec comme particularité de raccourcir plus que toute autre le cycle destruction-reconstruction, deux opérations qui se retrouvent, dans cette guerre, confondues en une seule sous le nom d’aménagement.

Comme c’est une guerre où d’une certaine façon tout le monde est perdant – les illusions d’améliorations, de gain de temps, etc., passent, les nuisances restent-, il est tentant de voir dans son déroulement une fatalité, qui serait celle de la « technique », ou de la « société moderne ». L’indignation qui se dirige contre des circonstances impersonnelles, et donc ne les traite plus comme une réalité attaquable et modifiable, doit nécessairement s’épuiser assez vite. Ce ne sont pourtant pas les ennemis à désigner et à combattre qui manquent, si l’on décide de s’en prendre, par-delà le paravent démocratique, à ceux qui décident, et de remonter des nuisances aux nuisibles.

Les réseaux de la tyrannie

Les promoteurs du désastre en arrivent maintenant eux-mêmes à déplorer la dégradation de la vie à laquelle nous sommes parvenus. En se joignant au chœur des pleureuses, en proposant même leurs services (selon le principe du racket) pour remédier illusoirement à ce qu’ils ont réellement détruit, ils essaient de faire oublier leur part prépondérante dans le saccage. Aussi continuent-ils à insinuer que si le cours de l’économie échappe visiblement à tout le monde, personne en particulier en profiterait et n’aurait intérêt à ce que cette démence se poursuive. Les plus retors, pensons au personnel politique, dont la tâche principale consiste à persuader les populations que leur intérêt est de s’en remettre totalement à eux et d’admettre que leurs choix arbitraires servent l’intérêt général, ont l’impudence de poser aux commis dévoués assumant dans l’adversité les charges collectives ; ce sont bien entendu les mêmes qui envoient la troupe quand la société songe à emprunter d’autres voies que les leurs. Et qui clament ensuite, après avoir anéanti les perspectives qui se formaient, que rien d’autre n’est possible et qu’il est irresponsable de vouloir mettre en cause la soumission de toute la vie aux impératifs de leurs affaires.

Pour faire accepter le trajet du TGV et pour dissimuler leurs propres intérêts triviaux dans l’affaire, la propagande des décideurs dispose d’une large palette de mensonges ; s’appuyant parfois sur des mensonges anciens pour en forger de nouveaux, ils éclairent l’arbitraire initial et du coup l’énormité à laquelle ils parviennent : ainsi, si on croit que sans économie on ne peut pas vivre en société, et si on admet par ailleurs que sans TGV l’économie s’étiolerait, il faut conclure logiquement que sans TGV on ne pourrait plus vivre en société. C’est là le nœud névralgique du conflit sur le tracé, puisque les opposants sont persuadés, avec raison, du contraire, c’est-à-dire que la société se décompose sous les coups de tels aménagements. La dépendance économique des populations, son approfondissement ou sa mise en cause, est l’enjeu véritable de tels conflits, mais il n’est pas inutile de détailler comment maintenant s’agencent les fallacieux arguments de la propagande pro-TGV.

Il s’agirait tout d’abord, mode écologique oblige, du moyen de transport le moins dévoreur d’énergie et le plus écologique ; outre que – et ce n’est un mystère pour personne – la puissance requise pour atteindre de grandes vitesses consomme nécessairement plus d’énergie, l’électricité d’origine nucléaire utilisée par le TGV est un perfectionnement écologique dont les habitants de cette planète n’ont pas fini de goûter les délices. On a là le procédé courant qui revient à opposer, en les comparant, des réalités pourtant objectivement complémentaires et liées : il n’y a pas de réelle concurrence entre la route, le rail et l’avion, mais un développement simultané et coordonné. L’autoroute occupée par le transport de marchandises, ou les départs concentrationnaires en vacances, et l’avion plus rapide sur les moyennes distances vouent le TGV à la fonction d’un super train de banlieue, achevant la suburbanisation du territoire, au mieux au profit de quelques conurbations et au pire de la seule région parisienne dont le taux de croissance, supérieur à celui du reste du pays, ne va pas manquer d’être accru par ce nouveau réseau centralisé.

Au nom de la croissance toujours nécessaire, et par définition jamais acquise, puisque la concurrence, à chaque nouveau palier de surenchère, met en cause les équilibres péniblement maintenus au stade antérieur (emplois, etc.), les aménageurs prétendent incruster toujours plus brutalement à la surface de la terre leur délire monomaniaque : ils parlent de retombées économiques quand l’exemple de Creusot-Montchanin sur la ligne TGV Paris-Lyon, riche de son seul parking de néo-banlieue, est autrement éloquent ; ils plient des paysages séculaires aux impératifs balistiques de la circulation rapide, « rectifient » des régions en les spécialisant. Le comble est certainement atteint quand ils veulent faire partager à tous le fantasme ridicule d’une France qui prendrait de vitesse, grâce au TGV, l’organisation des transports européens afin que des retombées économiques, aussi abondantes qu’illusoires, viennent embellir la vie des riverains français.

En fait lesdits pouvoirs publics n’ont plus le monopole et la maîtrise de l’initiative en matière d’équipements collectifs : de plus en plus en symbiose avec la mafia du Bâtiment et des Travaux Publics, il leur revient seulement de « vendre à l’opinion », comme répondant à des besoins sociaux préexistants, les projets simili-pharaoniques en tout genre, conçus par les bétonneurs. Dans cette collusion du « privé » et du « public » s’élabore l’inversion qui transforme et falsifie les besoins sociaux en les soumettant à des moyens toujours renouvelés et imposés. Les puissants intérêts du béton t du terrassement, c’est-à-dire aussi du ciment et du poids lourd, sont devenus de tels monstres financiers, requérant chaque année des volumes toujours plus importants d’opérations, qu’il leur devient toujours plus urgent et impératif de fournir en nouvelles tranches de mégalomanie les décideurs, de leur côté avides de s’illustrer par quelque « geste architectural » ou prouesse technopolesque. Et il est indéniable que le savoir-faire professionnel du B.T.P. s’est considérablement enrichi, dans un domaine au moins, celui de l’art de la persuasion : il a su se rendre indispensable aux décideurs politiques, avant tout en leur offrant des services garantis sur factures, vraies ou fausses.

Cet aspect quasi vaudevillesque du gouvernement des hommes et du régentement de leurs activités prêterait à sourire (on voit même les députés se jeter à la tête, en assemblée, les promesses de « rocades » qui auraient acheté leurs votes – cf. Le Monde, 21 juin 1991) si cette comédie du pouvoir où l’artifice le dispute au mensonge cupide n’accouchait pas d’une situation dramatiquement irréversible.

Pour ne parler ici que le la menace du réchauffement catastrophique de la planète dû à l’effet de serre, auquel les dépenses énergétiques des transports quels qu’ils soient et des industries qui les fabriquent contribuent notablement, tous les experts officiels, pour une fois d’accord, préconisent une modification drastique du mode de production, seule solution pour espérer stabiliser l’évolution du climat vers le milieu du siècle prochain. Et à côté de cela, au nom d’autres impératifs (intérêts privés de l’industrie, intérêts nationaux des Etats, intérêts particuliers des politiciens pour leur carrière), c’est au contraire une croissance ininterrompue des dépenses énergétiques que d’autres spécialistes autrement « compétents » maintiennent comme seul objectif. Puisque les aménageurs nous parlent d’intérêt général, c’est l’occasion d’en soustraire la discussion, et notamment celle des besoins de transport, aux réseaux de l’omnipotence catastrophique des élus locaux dépassés, des intérêts privés bornés, et des technocrates robotisés. Le seul intérêt général qui mérite d’être discuté en cette fin de siècle, c’est de tenter de mettre un terme au saccage de la vie, et non de gagner quelques dizaines de minutes pour passer la vallée du Rhône. Quant à la seule croissance qui mérite qu’on s’y arrête, c’est celle, qualitative, de l’existence humaine, la seule qui permette de sortir de cette obscure préhistoire économique.

Le grain de sable

On entend parfois dire des oppositions au TGV qu’elles se manifestent bien tard, que la Provence et la vallée du Rhône ont déjà été bien abîmées par les autoroutes et l’urbanisation. Outre que c’est là négliger les oppositions de moindre envergure qui s’élevèrent, à l’époque, contre les autoroutes et les centrales nucléaires, il est normal que l’addition inexorable d’aménagements, cloisonnant l’espace en aires fonctionnelles, finisse par provoquer l’angoisse de ne plus pouvoir y respirer – ni même y soupirer. Mésestimer les oppositions actuelles, ce serait surtout méconnaître l’importance que peut avoir pour tous cette tentative de coup d’arrêt aux chimères des aménageurs. Personne n’échappe au désastre. Si nous ne sommes pas tous riverains du TGV, nous sommes tous riverains de l’économie.

Ceux qui veulent en toute chose plier la vie à leurs critères comptables, à leurs mesures en Mtep (1), etc., ceux-là ne se gênent pas pour dénoncer les intérêts « mesquins » qui seraient le lot des oppositions à leurs projets. N’auraient-elles effectivement à cœur que des intérêts très limités, ces oppositions auraient au moins l’avantage, en ces temps si sombres, d’obliger les puissants à en rabattre un peu sur leur mépris pour la vie réelle. Mais de toute façon, à partir de quoi les gens pourraient-ils commencer à s’élever contre l’arbitraire des projets parachutés du ciel des technocrates, sinon à partir de ce qu’ils connaissent sensiblement le mieux, ce qu’on leur reproche vertement comme étant égoïste, le milieu fragile où ils vivent ? Quand la froide déraison économique clame qu’il ne saurait y avoir de futur en dehors d’elle, comment ceux qui refusent de la suivre plus avant ne le feraient-ils pas tout d’abord au nom de ce passé menacé, de ce qu’ils y ont goûté ? En défendant leurs conditions de vie précédentes – et aussi quelquefois les moins glorieuses -, en défendant ce qu’elles connaissent contre ce qu’elles redoutent du désastre en cours, les populations concernées défendent en tout cas mieux l’intérêt général que les scientifiques, les experts et les fonctionnaires qui établissent, chacun dans leur domaine, le bilan des dégâts sans pouvoir ni vouloir y mettre un terme.

Aux antipodes de tout ce fatras de généralités compromises et de lamentations hypocrites, les oppositions pratiques peuvent seules par leur ténacité commencer à faire le lien entre les différentes dépossessions qui accablent le vivant, et créer le terrain où l’appréhension du futur cesse d’être une conscience malheureuse et passive pour se renverser en réappropriation du présent. D’autres luttes locales, contre les barrages sur la Loire, contre les sites de déchets nucléaires, les décharges industrielles ou les carrières, ont déjà donné des exemples et contribué à améliorer l’atmosphère générale. Les quelques solides intuitions qui sont à la racine des mouvements d’opposition aux nuisances sont leurs meilleures armes pour élargir leur refus et trouver un soutien sans passer par la publicité des médias, qui les présentent inévitablement sous l’angle le plus appauvri, ne voulant connaître que propriétaires, viticulteurs, riverains lésés, et non l’intuition toujours plus répandue que ce monde ne sait plus proposer que l’aggravation de ce qui est. Ce que chacun pressent, il faut le dire. Rien ne sert de rentrer dans les transactions proposées, dans l’espoir d’obtenir un répit : aucun sacrifice ne pourra garantir une trêve, il ne fera au contraire qu’enhardir les promoteurs de la dévastation. En revanche, s’opposer au TGV, avec toutes les raisons universelles de le faire, c’est mettre les bâtons dans les roues de ce projet-là, et en même temps de tous ceux qui l’accompagnent, ou le suivront immanquablement.

Aussi est-il particulièrement honteux que des écologistes, la Fédération Rhône-Alpes de la Protection de la Nature ou René Dumont, osent prétendre que le TGV nous épargnerait des autoroutes, quand n’importe qui a pu constater au cours de la dernière décennie comment, parallèlement à la mise en service du TGV Paris-Lyon, les trafics aériens et autoroutiers augmentaient sans cesse. Loin de provoquer la création de nouvelles autoroutes (que d’ailleurs d’autres refusent aussi dans le Sud-Est), ou carrément le doublement de l’autoroute du Soleil, le succès de l’opposition au TGV ouvrirait une brèche dans ce consentement forcé qui a de moins en moins de sens pour chacun. L’insidieuse question « Pourquoi refuser cette nuisance-là quand vous en avez accepté et légitimé tant d’autres ? » sera définitivement réglée quand beaucoup d’autres refus auront succédé à celui-là. On a du mal à imaginer que le déferlement actuel d’aménagements en tout genre, à moins de s’abattre sur des populations qui finiraient de s’y désorienter, comme lobotomisées en douce, ne provoque pas des oppositions déterminées à mettre un terme à cette démence organisée.

Qu’on juge du dynamisme « sans préjugés » que l’on attend de nos jours des cadres et des techniciens de la production de nuisances, avec une certaine Nicole Le Hir, recruteuse de haut vol pour un autre secteur de pointe, l’agro-alimentaire, qui déclarait : « Aujourd’hui, il ne faut pas trop penser, il faut foncer. » (Ouest-France, 18 avril 1991). On peut aussi s’attarder sur la découverte de Pierre Verbrugghe, préfet de police de Paris, de la mutation des anthropoïdes entreprise sous son égide : « Aujourd’hui, le Parisien n’a pas deux jambes mais quatre roues. » (Le Monde, 27 avril 1990). Ou encore apprécier le brutal aveuglement d’un aménageur local -« Entre les grenouilles et les hommes, je choisis les hommes » (mais quels hommes ?) -, vice-président de la région Poitou-Charentes, pour justifier le projet d’autoroute Nantes-Niort à travers le marais poitevin. Tous ces propos ne sont pas exceptionnels, ils témoignent de la volonté à l’œuvre d’imposer partout l’irréversible. Cet entêtement désespéré des décideurs à poursuivre coûte que coûte l’aggravation prouve qu’ils ne connaissent plus rien d’autre : ce qu’ils ont mis en branle, en éliminant les modes de vie précédents, en réprimant les tentatives d’émancipation du siècle, ils en perdent maintenant la maîtrise, ne disposant d’aucun autre moyen que ceux qui produisent ce désastre. Leur étroitesse d’esprit pratique se retrouve dans l’étroitesse scandaleuse de leur conception de la vie : il entre dans les premières mesures de salubrité publique de la combattre sous quelque visage qu’elle apparaisse. Il revient aux opposants d’investir sans plus de gêne ni d’hésitation le terrain déserté de la pensée, afin d’y construire leur argumentation et d’y trouver les raisons universelles de leur refus : celles qui pourront servir à l’étendre.

ALLIANCE POUR L’OPPOSITION
A TOUTES LES NUISANCES, JUILLET 1991


1 – Unité de mesure de la démesure, signifiant « million de tonnes équivalent pétrole ».

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