Théorie du drone – Grégoire Chamayou

Grégoire Chamayou était le mardi 21 mai 2013 à la librairie l’Harmattan à Lille pour présenter son dernier livre édité par La Fabrique : « Théorie du drone ». Rencontre aussi passionnante qu’inquiétante autour des usages militaires des technologies du drone et, qui, contrairement aux discours de légitimation qu’ils entraînent dans leurs sillages, recomposent dangereusement les conceptions des interventions militaires dans le monde et ignorent le droit international. A l’heure où le gouvernement nous engage dans l’acquisition de deux drones, Grégoire Chamayou met salutairement en lumière les enjeux que cela représente, y compris pour les usages potentiels de cette technologie à l’intérieur même de notre territoire national.

Le drone est l’instrument d’une violence à distance, où l’on peut voir sans être vu, toucher sans être touché, ôter des vies sans jamais risquer la sienne.

Cette forme de violence télécommandée, qui à la fois supprime le face-à-face et fait éclater la distance impose de repenser des concepts apparemment aussi évidents que ceux de combattant (qu’est-ce qu’un combattant sans combat ?) ou de zone de conflit (où a lieu, une telle violence, écartelée entre des points si distants ?). Mais, plus radicalement, c’est la notion de « guerre » qui entre elle-même en crise : le drone est l’emblème de la « chasse à l’homme préventive », forme de violence qui débouche, à mi-chemin entre guerre et police, sur des campagnes d’exécutions extrajudiciaires menées à l’échelle globale.

Cette tentative d’éradication absolue de toute réciprocité dans l’exposition à la violence reconfigure non seulement la conduite matérielle de la violence armée, techniquement, tactiquement, mais aussi les principes traditionnels d’un ethos militaire officiellement fondé sur la bravoure et l’esprit de sacrifice. Car le drone est aussi l’arme du lâche : celle de ceux qui ne s’exposent jamais. Cela n’empêche pourtant pas ses partisans de la proclamer être l’arme la plus éthique que l’humanité ait jamais connue. Opérer cette conversion morale, cette transmutation des valeurs est la tâche à laquelle s’attellent aujourd’hui des philosophes américains et israéliens qui œuvrent dans le petit champ de l’éthique militarisée. Leur travail discursif est essentiel pour assurer l’acceptabilité sociale et politique de cette arme. Dans ces discours de légitimation, les « éléments de langage » de marchands d’armes et de porte-parole des forces armées se trouvent reconvertis, par un grossier processus d’alchimie discursive, en principes directeurs d’une philosophie éthique d’un nouveau genre – une « nécroéthique », dont il est capital de faire la critique.

Grégoire Chamayou
Agrégé de philosophie, Grégoire Chamayou est chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Cerphi ENS Lyon.

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