Alger pleure

Ce matin, je me dirais hautaine, juchée, énergique et orgueilleuse, ici, derrière et close, dans la sombreur et l’angulosité et… et… et puis tout se passe… et puis tout se cache : on y vole, on y viole. Même la lumière y fait figure de sirène lugubre. Rien ni personne. Le vide n’a plus d’arrêt. Les trottoirs donnent la situation de l’aventure. Ceux qui les parcourent en signifient la sève. Presque rien. Juste par l’imagination. Une journée de pluie ensoleillée. L’horreur accouplée à la beauté. La farce des masques se donnant en spectacle. La vie-réclame. Au gré de la banalité, les filles s’interchangent, travesties par le lyrisme des choses. Et voilà le tour de passe-passe sous le regard de Satan ! Bien sûr, le mensonge est difficile à savoir. Nous voici tous déportées dans un réel sans bagage. Bonjour l’aventure !!! Une vie impossible à déchiffrer. A peine le temps d’observer, même d’effleurer. Juste celui de pleurer pour aimer… ou de vivre sans éclat. Avec le temps, la mémoire devient pierre. Qu’importe ! Avant de raconter il n’eut pas fallu que je visse l’histoire.

Je n’oublierai jamais cette vie, sans nom et sans visage, où les âmes volaient furtivement tissées aux murmures. Où les filles n’étaient plus qu’ombres, statues de popelines filées par des araignées. Pendues aux guetteurs. Révélées par le vent. Narguant les narguilés de leurs désirs-fumées, chapardeuses d’interdits, de transgressions, sous la dictature et l’immonde. Vivant telles des doublures au sexe des hommes. Laissez-moi ! Laissez-moi ! Le temps perdu ne s’arrachera pas si facilement. Je parle  de cette beauté inassouvie qui concourait tant au succès des embryons. Les verges embaumaient de mauresques jardins. L’erreur viendrait-elle des livres sacrés ? D’une tradition impure ? Qui hante et qui culpabilise… une tradition fatale… enlacée à l’enfer du temps ?
Je ne sais qui, dès ma naissance, m’a ensevelie. Qui en fut l’inquisiteur. Qui en fut le commanditaire. Mais j’ai vu le bourreau d’extases. J’en ai vu le duplicata, diaphane comme un drap trop vieux. Je l’ai vu, lui et mon sang réclamé par l’honneur.
Un lit à fleurs veillait sur l’obscurité… La somnolente… Celle qui plus tard déteint et devient plus tard poussière et terre noctambule. Tandis que la grande aiguille du temps artificiel laisse échapper la mort qui vous étourdit et qui envoie sombrer le soleil, par les trous de serrure s’écoule le sang du jour, de ses abats. Ô la vie ne nous appartient pas ! Nous sondions sous nos vêtements cette chair soudée à l’ennui. Nos yeux courraient sur ses formes tapissées de silence et de disgrâce. Vénéneux derrière leurs meurtrières de peau fine à peine entrebâillées, les regards, tout à leur désarroi, plongeraient dans le plomb du fil suspendu aux âmes… Poisseuses. Gangrenées. Simiesques. Ordurières. Sadiques. Nous ne pouvions toucher les ombres. Seulement leur paraître semblables.

Semblables aux fantômes.

Au vol ! Me voilà détroussée de la raison. Je ne connaissais que les larmes pour incarner la misère.

J’oubliais. Mes larmes fondaient dans le miroir. Des murs pour unique horizon. Quelques regards au quotidien firent périr l’amour, la jeunesse et les désirs insensés. Du rire, j’en avais égaré les éclats. Même le désespoir s’était figé avec le plâtre. Émotions en bois, monotones, semblables à la terre enfermée dans sa ronde autour du soleil. Je me distrayais d’un dialogue avec le néant duquel les mots devinrent étrangers. Mon corps tout entier se transforma en un amas de pierres, solitaire et résigné. Indifférente aux paysages lacrymaux, j’ai quitté sans regret ce présent certes absurde et pourtant terriblement présent. Je n’avais plus qu’une pensée de mouche. J’étais le miasme ailé du hasard qui se déplaçait sans but. Parfois je faisais frénétiquement ma toilette sur le dos de mon père ou bien je patinais sur la poussière d’un meuble mais le plus souvent je me collais en vitesse accélérée sur la bouche d’un hypothétique amant qui, brassant le vide, finissait par me réduire en bouillie sous ses doigts.

J’aurais voulu me convertir en chose. Mon sexe incandescent m’en empêchait. Pour cela, je n’aurais eu d’autre voie de secours qu’en transitant par l’état végétal, finir en rondelles dans un couscous et mijoter sur le fourneau. J’aurais oublié, qui sait, le sirocco qui brûlait mes veines et cette douleur effroyable du métronome sous mon sein gauche. Main dans la main je marchais avec la mort. En deuil, je fécondais l’horreur dans une vie éteinte et close.

La peur prenait forme dans la cannelle indolente. Je voyais gigoter les manigances sur les poufs du salon. Des soupçons me fendillaient l’esprit et pourtant je gardais le silence. Fallait-il que des courants d’air sortent de ma bouche pour me sentir plus heureuse ? Dans la maison chacun semblait s’en satisfaire. La tristesse m’allait à ravir, disait-on. J’aurais pour mon époux le charme d’un canapé. On m’en faisait le compliment.

Que l’ennui me tenait chaud ! Je ne désirais plus m’en séparer. J’aurais la vocation d’un papier peint qui flirterait avec le mur. A partir d’une tulipe et d’une renoncule y serait répété quelque joli motif sanguinolent. Personne n’y verrait mes tripes fleurissant le vestibule.

Cette nuit, des soupirs ont donné de la hauteur à mon imaginaire. Mystérieusement entrouverte, en mon sommeil, je recherchais, désabusée, des traces de ces étreintes. Je m’abandonnais à la nage, entourée d’hameçons et suspendue au cintre solaire qui me réchauffait le dos. Je pensais à cette orange n’ayant nul désir de donner le change, en devenir platane. A cheval sur l’horizon semblait le soleil et la mer si calme une cuvette en plastique bleu. Juste le temps d’un fracas, l’instant pour les larmes de quelques vieillardes pleureuses.

Ma tête était anormalement vide. Des idées passaient sans s’y arrêter. Le voile de l’aube m’avait-il rendue transparente ? Lisse à force d’égrener le temps, lisse d’habitudes solitaires, de m’imaginer au loin, ailleurs, à part. Dans une ville déserte. Sans ces semblants d’existences. Ni bûcher dédié à l’amour. Ni même ce sexe sous ma chemise, 100 % vierge, garanti pur, à la convoitise des canons, des guerres et de l’amant inconnu. Sans l’orgueil obsédant des corps – les suspicieux les soumettant à la question. Et surtout pas avec cet interminable songe enfanté par mon ventre, abandonnée à la fortune, bonne ou mauvaise… de toute façon une vie antichambre de la mort. Je tirais les rideaux. A quoi bon s’encombrer d’inutile ? La mélodie du rien pourrait-elle se transporter en valises ? Pourrais-je n’être qu’un volume d’abandon dans un colis oublié sur le quai d’un port ? Un sac de chair qui ne projetterait nulle ombre sur le macadam et la poussière ? Naissais-je néant pour me faire avaler par le silence ? J’en rêvais mais je n’étais que murmures.

Jeune fille au rêve figé. Hystérie roulant dans la rue. Quel réconfort de se vider de sens ! De s’effacer du tableau ! Mes pieds ? Mes pieds allaient partir emportant un corps sans tête ou, tout au moins, sans rien dedans. Et pourquoi d’ailleurs aurais-je souhaité vibrer à l’unisson avec un ciel qui délaissa les femmes ? Les hommes, eux, leur ouvraient le sexe comme des fenêtres. On eût dit aussi ces anatomistes qui vous dépeçaient la viande, froidement, ne vous gratifiant d’aucune pitié ni de grâce.

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